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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/138

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et comment aussi ce guide, trop timide pour eux, ils l’ont dépassé.

Ce qui devait avant tout les ranger sous la bannière de Locke, c’est que Locke avait déclaré ouvertement la guerre à Descartes, et que Descartes était devenu l’auxiliaire de l’Église, depuis que l’Église s’était mise à patronner, après l’avoir combattu, le spiritualisme cartésien ; c’est donc Locke, le philosophe de l’expérience, qui, selon eux, a écrit la véritable histoire de l’âme, dont Descartes, métaphysicien chimérique, n’avait fait que « le roman ». Ils ont horreur, en effet, de la métaphysique, qu’ils ont réduite à ce qu’elle doit être, dira d’Alembert, à ce qu’en a fait justement Locke : la physique expérimentale de l’âme. Rechercher la génération de nos idées et prouver qu’elles viennent toutes des sens, voilà, ou à peu près, toute la philosophie. Seulement, les matérialistes français ont déduit logiquement du sensualisme de Locke tout ce qui y était implicitement contenu, mais ce que Locke, l’auteur convaincu du « Christianisme raisonnable », avait refusé d’y voir : et c’est le pur athéisme ; car, quel est donc celui de nos sens qui nous révèle les choses invisibles ? « Comment le profond Locke, qui a reconnu l’absurdité des idées innées, n’a-t-il pas vu qu’un tel principe sapait les fondements de cette théologie qui n’occupe jamais les hommes que d’objets inaccessibles aux sens et dont, par conséquent, il est impossible, de se faire une idée[1] ? »

Dans un autre domaine, où les Encyclopédistes passent pour avoir été les simples continuateurs de Locke, la logique française, soutenue, cette fois, pourrait-on dire, et comme approuvée par la générosité française, a singulièrement élargi les enseignements du maître : la tolérance, que prêche Locke dans ses fameuses Lettres, n’est, après tout, qu’une tolérance à l’usage des anglicans, puisqu’elle reste intolérante à l’égard des catholiques et des athées. Or cette tolérance, étroitement anglaise, les philosophes, l’étendant à

  1. D’Holbach : Syst. de la Nat., t. I, p. 130.