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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/209

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Quand on écrit, sur la messe et les miracles, les articles que l’on sait, cela s’appelle « couvrir la vérité d’un voile pour ménager les yeux trop faibles[1] ». Pour les autres, les clairvoyants, « on leur laisse le plaisir de deviner ». Tâchons donc d’être de ces derniers et de découvrir, à travers les voiles épais, on pourrait même dire : les étranges masques, sous lesquels elle se cache, la vraie pensée, la philosophie ésotérique des Encyclopédistes. Il y a ici toute une tactique à étudier et ce n’est que peu à peu qu’on finit par être au fait de toutes leurs ruses de guerre. Où, dans l’Encyclopédie, est la vérité vraie et où devons-nous la chercher, si nous ne voulons pas être dupes ?

Elle est d’abord, admirez leur astuce ! dans les éloges même du christianisme : les dogmes qui heurtent le plus la raison sont justement ceux qu’ils exaltent le plus volontiers et leurs louanges exagérées font paraître ces dogmes plus déraisonnables encore : « Le vrai chrétien, s’écrie Diderot, doit se réjouir de la mort de son enfant, car la mort assure à l’enfant qui vient de naître une félicité éternelle, tandis que le sort de l’homme qui paraît avoir vécu le plus saintement est encore incertain. Que notre religion

    trahir, comme il lui arrive trop souvent, « une philosophie ésotérique ou cachée ». Cherchant en même temps à excuser les contradictions de Diderot, il nous explique que Diderot craignait : 1o le tyran (le roi) ; 2o les apôtres du mensonge (les prêtres) ; et 3o les magistrats sanguinaires (le parlement). Tous ces despotes réunis avaient juré, dit-il, de brûler Diderot. Or, Diderot « tenait à la vie à cause de sa femme ». À la bonne heure ! encore qu’on fût loin de s’attendre à trouver en Diderot un aussi profond amour pour Nanette ; ce serait, en tous cas, une raison de plus pour ne pas se comparer au mari de Xantippe : « Mes amis, puissions-nous en tout ressembler à Socrate ! » — en tout, sauf l’article de la cigüe. Pourquoi, enfin, avoir emphatiquement proclamé soi-même que « l’homme un et vrai n’aura point deux philosophies : l’une de cabinet, l’autre de société ? » (Diderot, XVI, 492), et ailleurs : « C’est sous Néron qu’il était beau de médire de Jupiter (et Louis XV n’était pas précisément un Néron). C’est ce que firent les chrétiens, et c’est ce qu’ils n’eussent point fait s’ils avaient été de ces âmes pusillanimes qui tiennent la vérité captive lorsqu’il y a quelque danger à l’exposer. » (Encyclop., art. Divination) ; il y eut, ce semble, pas mal de ces âmes-là parmi les Encyclopédistes.

  1. Expression ingénue de Condorcet : Tableau du Progrès de l’esprit humain, IXe époque.