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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Dans les écrits qui l’instruisent, Bernard de Trille trouve, de l’existence de la terre ferme, trois sortes d’explications.

S’il y a des continents, c’est, pour les uns, tel Guillaume d’Auvergne, en vertu de l’intervention directe et surnaturelle de Dieu. Pour d’autres, tel Roger Bacon et Thomas d’Aquin, c’est parce que la nature particulière de chaque élément est subordonnée à une nature universelle ou à un ordre universel qui est une émanation du corps céleste. Pour d’autres enfin, tel Robert l’Anglais, c’est l’action des étoiles qui maintient la terre émergée.

Bernard de Trille réunit en une seule ces trois explications ; il ne les regarde pas comme distinctes ; et ce qu’il en dit montre bien, en effet, la racine commune dont toutes sont issues. Commandement direct de Dieu, nature universelle, ordre universel, action des étoiles ne sont invoqués que dans un seul et même but : Réaliser ici-bas une disposition qui permette la vie des végétaux aériens, des animaux à sang chaud et, surtout, de l’homme. Toutes ces explications sont, en dernière analyse, des explications finalistes.

L’eau occupe-t-elle un volume plus grand que celui de la terre ? C’est à cette interrogation que Bernard va maintenant répondre[1].

Il commence par déclarer qu’on lui peut donner deux significatiohs différentes ; pour définir ces significations, il ne dispose pas des termes précis dont nous usons aujourd’hui ; les mots vagues qu’il emploie se doivent, en effet, remplacer par ceux-ci : On peut comparer entre eux les volumes spécifiques de l’eau et de la terre ou bien comparer les volumes eux-mêmes.

« De la première façon, il est sans doute que l’eau occupe un plus grand volume [spécifique] que la terre. Selon le Philosophe, en effet, il y a, entre les éléments, une proportion décuple, en sorte qu’un volume de terre se change en dix volumes d’eau. » C’est de l’eau et de l’air qu’Aristote avait tenu ce langage ; encore n’était-ce qu’une supposition et point une affirmation. Bernard nous laisse entendre ce qui était assurément, de son temps, l’opinion commune ; on pensait que les volumes spécifiques des éléments successifs sont décuples les uns des autres.

« De la seconde façon, certains disent également que l’eau occupe un plus grand espace ou un lieu plus étendu que l’espace

  1. Ms. cit., fol. 75, col. c.