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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

cienne du temps ; et sur les ruines de cette théorie, une doctrine nouvelle a surgi.

Sur l’infini, sur le lieu, sur le temps, tout ce qu’avait dit la Physique d’Aristote est venu se briser au choc porté par le décret des condamnations de Paris. Par la brèche ouverte au flanc du Péripatétisme, des pensées nouvelles ont passé, dont beaucoup se retrouvent, à peine modifiées, dans les écrits de ceux de nos contemporains qui philosophent sur les principes de la Science.

Mais les décisions portées par Étienne Tempier et son conseil sont loin d’avoir produit à nos yeux toutes leurs conséquences. Nous allons voir comment elles ont amené la Scolastique à renier les objections qu’Aristote avait dressées contre la possibilité du vide.


Les philosophies antérieures à Aristote admettaient, en général, outre les corps, un quelque chose qui n’était point corps, qui était homogène et indéfini, où trois dimensions pouvaient être tracées, où les corps pouvaient trouver place et se mouvoir ; ce quelque chose, c’est ce que les Atomistes nommaient le vide, τὸ κενόν, ce que Platon nommait l’espace, ἡ χώρα.

Contre cette théorie, qu’avec des nuances diverses, développaient la plupart de ses prédécesseurs, Aristote avait vivement réagi. Il s’était efforcé de démontrer l’impossibilité du vide et de l’espace. Surtout, comme ses prédécesseurs croyaient établir que l’existence du κενόν ou de la χώρα était nécessaire pour que le mouvement fût possible, il s’était attaché, lui, à prouver, qu’au sein du κενόν ou de la χώρα, tout repos comme tout mouvement était inconcevable.

La vogue de la Physique péripatéticienne avait été, chez les Hellènes, de peu de durée ; elle n’avait pas tardé à être éclipsée par la Physique stoïcienne. Mais, en particulier, la doctrine d’Aristote au sujet de l’impossibilité du vide n’avait pas attendu, pour se voir délaissée, le triomphe des doctrines du Portique ; sur ce point, Straton de Lampsaque s’était déjà, semble-t-il, écarté de l’enseignement du Maître.

La possibilité du vide était un des dogmes essentiels de la Physique stoïcienne. À la vérité, des disciples de Chrysippe et de Zénon ne pensaient pas, comme ceux de Leucippe et de Démocrite, qu’il y eût d’une manière actuelle, à l’intérieur du Monde, des espaces vides de tout corps ; mais du moins croyaient-