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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

en sorte que tout son mouvement se fait dans un temps fini. Ainsi, ce qui se meut dans le vide, se meut nécessairement en un certain temps et en un temps divisible, en sorte qu’il n’en résulte aucune impossibilité. Telle est la question posée par Avempace. »

En la discussion de cette opinion, Averroès multiplie les précisions :

« Avempace a jugé, dit-il, que le mouvement sensible est ce qui reste du mouvement naturel. Il a jugé que le mouvement naturel est comme une certaine quantité (mensura) # dont on retranche, [en deux circonstances différentes], deux quantités qui sont, elles-mêmes proportionnelles à deux autres quantités. Il a vu que lorsqu’on opère ainsi sur deux quantités, le rapport des quantités retranchées n’est pas égal au rapport inverse des restes. Il a pensé que, par suite du milieu résistant, il advient au mouvement naturel une certaine diminution qui est proportionnelle à la résistance ; comme nous l’avons dit, il a jugé que le mouvement sensible est ce qui reste du mouvement naturel après cette diminution, semblable à ce qui reste d’une grandeur après qu”on a retranché une autre grandeur. Il a donc jugé que la vitesse du mouvement sensible dans un cas, au mouvement sensible dans un autre cas, * n’est pas comme cette résistance-ci est à celle-là ; ce rapport est celui des ralentissements…

» Personne, avant Avempace, n’était parvenu à soulever ces questions ; il surpassait tous les autres en profondeur. »

L’admiration d’Ibn Roschd pour Ibn Bâdjâ ne va pas jusqu’à lui faire admettre l’opinion qu’il vient d’exposer ; la confiance du Commentateur en la parole d’Aristote défie toute contradiction : « Déclarons, dit-il, comme une vérité manifeste par elle-même… que la différence de ténuité des milieux est, toutes choses égales d’ailleurs, la cause de la différence des vitesses ; que cette diversité dans les vitesses, dont la cause est la différence de la subtilité des milieux suit essentiellement la subtilité… Il est donc manifeste que le rapport des vitesses est égal au rapport des subtilités ou ténuités des milieux. Ce sont là des propositions manifestes par elles-mêmes… »

Ibn Roschd a combattu le raisonnement d’Ibn Bâdjâ ; mais à l’auteur de ce raisonnement, il a accordé sa sincère admiration ; « Avempace, a-t-il dit, a dépassé tous les autres en profondeur » ; jamais éloge ne fut mieux justifié ; de cette discussion, en effet, l’auteur avait creusé si avant qu’il était venu ébranler les fondements mêmes de la Dynamique d’Aristote. »