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L’HORREUR DU VIDE

» Premièrement, si l’on bouchait toutes les ouvertures d’un soufflet, aucune puissance ne pourrait soulever un des battants pour le séparer de l’autre, à moins qu’il ne se fît quelque rupture par où l’air pût pénétrer ; cette rupture faite, il devient facile de soulever un des battants en le séparant de l’autre, car il y a alors quelque chose qui peut être admis entre les parois du soufflet ; cela semble un signe que la nature abhorre le vide (hoc uidetur esse signum naturam abhorrere vacuum).

» Secondement, on peut prouver la même chose au moyen de la clepsydre. »

Albert de Saxe se borne, d’ailleurs, à cette affirmation : Aucune puissance naturelle ne saurait produire un espace vide. Pas plus que Jean Buridan, pas plus que Marsile d’Inghen, il ne spécule sur les forces que la nature met en jeu afin d’empêcher, au prix de mouvements contraires aux propres tendances des corps, la formation d’un intervalle vide.

Évidemment, au fur et à mesure que le xme siècle recule dans le passé, les physiciens de Paris se montrent plus oublieux des enseignements de Roger Bacon. Peu à peu, toute la théorie que ce dernier avait développée se condense en cette brève formule : La nature a horreur du vide. Ce sont bien encore les pensées de Frère Roger qu’on entend confusément exprimer par cet aphorisme ; mais on ne prend plus la peine de les déclarer d’une manière explicite.

Il est cependant, dans les écrits d’Albert de Saxe, un autre passage où semble s’exprimer une pensée plus voisine de celle qu’avait émise le grand Franciscain. Voici ce passage[1] :

« Il est impossible qu’un même corps simple se meuve successivement de plusieurs mouvements simples spécifiquement différents. Mais, contre ce principe, on peut élever le doute suivant : L’eau descend naturellement ; et avec cela, il arrive qu’elle monte naturellement lorsqu’elle suit l’air qui, dans une pipette (fistula), est violemment attiré vers le haut.

» Répondons qu’on peut entendre dans deux sens différents cette proposition : Un corps simple se meut successivement de plusieurs mouvements simples spécifiquement distincts. On peut entendre, en effet, ou bien que chacun de ces mouvements lui est propre, ou bien que l’un d’eux lui est propre, tandis que l’autre, au lieu de lui être propre, lui est commun avec tout autre corps. Je dis alors, qu’au premier sens, il est impossible qu’un

  1. Alberti de Saxonia Quæstiones in libros de Cælo et Mundo ; lib. I, quæst. I.