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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

droiture qui n’a nul corps à subject ; et tout ce doit estre entendu quant à la déité, ne quant à le humanité ; quar Dex, cil qui est droituriers, est meesmes droiture…

» Aristotes asséna trois principes des choses devant les élémenz : L’Engigneor, ce est li Maistres Ouriers, qui est Dex ; la Matire, c’est Yle ; l’ovroer ou l’estrument, ce est Nature. Après mist les élémenz qui sunt ordenés sicum dist Ésiodes. »

Ces opinions dont la responsabilité est successivement imposée à Platon, aux « Naturiens », à Aristote, font toutes, de Dieu, un simple Démiurge, un Maître Ouvrier, un Ingénieur qui façonne une matière première préexistante. Nulle part, il n’est dit que Dieu soit le créateur de cette matière.

Cela n’est pas dit davantage, au passage où notre « astrologien » décrit la Matière première. Ce passage[1] vaut d’être cité en entier :

« De la primordial, ce est la première, Matire dient li philosophe que ce est entendu en meintes manières. Ne il ne diroient mie que ce soit aucune chose, quar qui affirme que ce soit aucune chose, il i met plus qu’il ne doit ; ne ne dient que ce soit neient, quar qui dit que ce soit neient, il en oste plus qu’il ne doit ; mais ce est entre aucune chose et neient, entre aucune substance et nule.

» Ce est autres ; matire senz forme comme Dex est forme senz matire ; et ce est ce qu’il dient altérité, quar èle reçoit toute manière de nuance selonc la diverseté des formes qu’èle reçoit en soi.

» Et por ce la noment aucun réceptacle, porce qu’èle reçoit toutes formes. Li autre l’apèlent Selve[2], porce qu’èle est rude autresi cum li bois qui reçoit toutes manières de formes. Li autre, possibilité, porce qu’èle peut recevoir toutes formes dum èle n’a nule en présent.

» Se tu vels entendre tèle manière de matire, ce est une chose que l’en apèle pur sozject, entor cui est toute diverseté et toute nuance de formes ; lequel sozject nus ne puet nomer par nul nom, quar se tu li mez nom, tu sègnefies qu’il i a qualité, dum il n’i a point ne n’i puet estre entendue.

» Donques, si come le silence est oïe en ce que l’en ne oït rien, et que les ténèbres sunt veues en ce que l’en ne voit rien, enisi ceste Matire est entendue en ce que l’en ne l’entend. »

  1. Ms. cit., fol. 10, col. a et b.
  2. Chalcidius traduit littéralement ὕλη par sylva.