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L’UNIVERSITÉ DE PARIS AU XVe SIÈCLE


B. Le vide et le mouvement dans le vide


Sur la possibilité du vide, la doctrine de Pierre Tataret est celle de tous les disciples de Scot ; impossible par voie naturelle, la production d’un espace vide n’est pas contradictoire, en sorte qu’elle n’excède pas la toute puissance de Dieu.

Les termes dont use notre auteur pour exprimer cette doctrine sont, en grande partie, textuellement empruntés à Jean Hennon ; il se contente de marquer plus exactement que son prédécesseur en quoi consiste la nature universelle qui a horreur du vide.

« De quelque façon qu’on entende le vide, écrit-il[1], il n’est pas possible que le vide existe naturellement, car la nature a horreur du vide…

» Et si l’on me dit : Quelle est donc cette nature qui a ainsi horreur du vide ? Je réponds que c’est la nature universelle ; toutefois, par nature universelle, je n’entends pas seulement le Ciel ou Dieu, mais j’entends tout l’ordre des êtres et des corps tant inférieurs que supérieurs. L’on ne voit pas d’ailleurs pourquoi les battants d’un soufflet ne peuvent être naturellement séparés[2] [lorsque tous les orifices sont clos], si la nature n’avait horreur du vide. »

Comme Hennon, comme Georges de Bruxelles, Tataret examine si la congélation de l’eau dans un vase n’y pourrait produire un espace vide r comme Hennon, il répond[3] : « Avant que l’eau se congelât dans un tel vase, le vase serait brisé par la force de la nature universelle. »

Il ajoute : « Peut-être dira-t-on que ce vase ne semble pas pouvoir être brisé ; en effet, il n’y a pas de raison pour qu’il se brise d’un côté plutôt que de l’autre, surtout s’il est uniforme en tous sens. On répond que les influences du Ciel abhorrent plus fortement le vide d’un côté que d’un autre ; le vase se romprait à la partie supérieure, dirigée vers le Ciel, plutôt qu’à la partie inférieure, car la force de la nature universelle serait plus puissante à la partie supérieure qu’à la partie inférieure. »

Les considérations sur l’horreur du vide et la nature universelle que nous trouvons dans les manuels de Jean Hennon, de

  1. Petri Tatareti Physicorum, lib. IV. Quæritur utrum sit possibile vacuum esse. Primo sciendum… Ed. cit., fol. XXXII, col. c.
  2. Le texte porte : comprimi.
  3. Tataret, loc. cit., quarto sciendum… Ed. cit., fol. XXXIII, col. a.