Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

gouvernées que ce royaume en est détruit et dépopulé, et n’y a pas la dixiesme partie du peuple qui souloit estre. »

En 1339-1340, le même Jean Juvénal des Ursins, après les États d’Orléans, décrit à Charles VII le sort lamentable du Royaume et, particulièrement, de la Ville de Paris[1] :

« Les povres gens se sont absentés tellement que le païs est demouré tout inhabité, et n’y est pas demouré de cent personnes une, qui est chose très piteuse… Et pource que ès villages ne demeure plus personne,… les ennemis se prennent aux gens des villes… Quant je voy les histoires, et j’ay esté par une partie de ce royaulme de France, et je voy l’estât en laquelle elle est, je suis tout esbahy, et plus que esbahy. »

De l’ancienne France et de sa prospérité, Juvénal des Ursins demande la description au Livre des propriétés[2] que Barthélemy l’Anglais avait composé au xiiie siècle. Il cite avec orgueil les louanges que ce livre décernait à Paris : « La ville d’Athènes, mère des arts libéraux et des lettres, nourrice des philosophes et source de toutes les sciences a été l’honneur de la Grèce ; de même, Paris a glorifié dans les sciences et les bonnes mœurs non seulement la France mais une grande partie de l’Europe. Cette ville est comme la Mère de la Sagesse ; elle accueille ceux qui lui viennent de toutes les parties du monde, elle subvient à tous leurs besoins, elle les gouverne par sa pacifique autorité ; chargée du culte de la vérité, elle reconnaît sa dette envers les sages comme envers les ignorants… L’air qu’on y respire comme le fleuve qui l’arrose conviennent à ceux qui philosophent… Elle est au-dessus de toutes les autres villes. »

À cet éloge du Paris d’autrefois, Juvénal des Ursins fait écho : « Que estoit-ce de Parlement, de Chastellet, de la Justice qui y régnoit, de la marchandise qui y couroit ; toutes marchandises du monde y venoient. Mais quelles précieuses reliques y avoit-il au Palaiz, à Nostre-Dame, à Saint-Denis et ailleurs. Hélas ! Qu’estoit-ce de l’Université de Paris, quelz clercs en sont yssus ! En elle estoit toute la congnoissance de la vie perdurable, par quoy on la peut dire lumière de la foy, maistresse de vérité et la lumière de toute sàincte Esglise et Chrestienté.

» Hélas ! Hélas ! et qu’est-ce maintenant ? C’est là plus désolée, la plus destruite que on sache, selon son estât, et à

  1. H. Denifle, La désolation…, pièce no 997 ; t. I, pp. 501-512.
  2. Liber de proprietatibus rerum Bartholomei Anglici ; lib. XV, cap. LVII : De Francia.