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INFIRMIER

Les soirées à l’hôpital jusqu’à l’heure de la fermeture de la lumière étaient assez amusantes. Sauf les « cas graves » placés au fond de l’immense pièce, les autres malades se levaient pour s’approcher de grandes tables autour desquelles ils jouaient aux cartes, aux dames ou aux échecs. Ou encore ils se groupaient pour causer et se raconter des plaisanteries. Je parlerai plus loin des sujets qui faisaient le fond des discours au camp. On trouve là un aspect intéressant de l’évolution des préoccupations des internés. La plupart du temps, le soir, à l’hôpital, on se racontait des blagues. Il y avait notamment un ancien berger, un petit bonhomme pas plus haut que Tom Pouce à la peau noire comme celle d’un Africain qui s’était créé une solide renommée d’oniromancien par la fantaisie avec laquelle il expliquait les songes. Pour encourager les autres et donner le bon exemple, il commençait par lui-même :

— J’ai rêvé cette nuit que je me trouvais auprès de ma femme, disait-il. Et j’étais sur le point de l’embrasser. Tout à coup survint un orage qui nous sépara. Mais au bout d’un certain laps de temps, pendant lequel nous n’avions cessé de nous chercher, nous nous sommes enfin embrassés. Eh ! bien, concluait-il, le moment où j’allais l’embrasser, c’était notre vie commune avant mon internement ; l’orage, c’est moi ici ; la fin, évidemment, c’est mon retour à la maison. Je suis sûr que, d’ici huit jours, je serai chez moi.

Le brave homme n’eut pas tort d’attendre en espérant car il a fini, en effet, par rentrer chez lui. Mais ce ne fut pas au bout de huit jours. Ce qui n’empêcha pas les autres,