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MARMITES ET MARMITONS

vait se résoudre à s’abstenir de manger des pâtes. Pour le persuader en l’alarmant, le médecin lui dit :

— Si vous continuez de la sorte, vous mourrez bientôt.

— Dans combien de temps ? demanda le malade.

— D’ici trois ans sûrement.

L’autre réfléchit un instant, puis :

— Tant pis, docteur ; j’aime mieux mourir dans trois ans et manger des macaronis.

Ce soir-là, les deux réfectoires retentirent donc des cris d’allégresse des dîneurs gavés de pâtes excellentes.

Le grand chef, qui surveillait la préparation de tels repas gargantuesques, commençait à sourire seulement quand il voyait ses « clients » satisfaits. Alors son visage glabre s’épanouissait. Puis, le dîner terminé, il allait se détendre, « rue Ste-Catherine », par d’interminables parties de boules.

Un soir qu’il était absorbé par son sport favori, un soldat vint l’appeler. Quelques instants plus tard il faisait ses paquets, montait dans une auto et disparaissait comme il était venu.

Après quelques tâtonnements, il fut remplacé par un des plus anciens restaurateurs de Montréal, propriétaire jadis d’un cabaret situé non loin de la gare Windsor et qui eut son heure de renommée. Au cours de la crise économique des premières années 1930 il avait dû déménager dans un local plus modeste mais dans le même quartier et son établissement était devenu le rendez-vous de nombreux artistes, journalistes et hommes de lettres.