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LA VILLE SANS FEMMES

mieux que l’argent. Si je perds un million de dollars, je peux, avec de la chance, les retrouver. Mais, au contraire, si je perds une heure sur le nombre d’heures que Dieu a fixé comme durée de mon existence, je suis malheureusement certain que je ne la retrouverai jamais plus.

— À quoi veux-tu en venir ?

— À ceci… Les gars du camp, vraiment, me semblent avoir perdu la raison. Le présent ne pouvant pas les satisfaire, ils cherchent follement à brûler le temps. On les entend tous dire : « que le temps est long ! si la journée peut passer ! » Demain ! après-demain et la semaine prochaine et le mois prochain ! Ils ne s’aperçoivent plus, les insensés, qu’en souhaitant ainsi voir le temps accélérer sa course, c’est leur propre destruction qu’ils souhaitent hâter.

— Évidemment…

— C’est comme pour le travail… Certains se plaignent qu’il y a ici des hommes capables de travailler et qui préfèrent l’oisiveté. Moi, je les comprends…

— Eh bien ! moi, je ne te comprends pas…

— Le travail, vois-tu, n’est vraiment noble que lorsqu’il établit la solidarité humaine qui existe entre l’effort individuel et le bien-être collectif. À ce point de vue, couper du bois, ici, pour notre petite ville, c’est excellent, puisque ce bois sert à faire cuire le fricot pour soi-même et pour les copains. Mais il en est qui disent : « Tout cela est très bien, seulement, pendant que je coupe ce bois-ci, qui coupera — façon de parler — le bois destiné à faire cuire la soupe de ma femme et de mes enfants ? » Tu vois ?