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INFIRMIER

quand on a, à côté de soi, sa famille, sa femme, ses amis. Mais ici, enserré dans une forêt, exilé de tout ce qui existe de familier, si loin de tout et de tous… »

Une idée m’éblouit. Et si j’allais mourir ?… Mourir sans avoir revu les miens, sans leur avoir parlé ? La fièvre approfondissait mon désespoir.

Au moment opportun, par bonheur, quelqu’un s’approche et me souffle à l’oreille :

— Voulez-vous que je vous fasse une bonne orangeade ?

Celui qui m’adresse la parole est un curieux personnage : un garçon de petite taille, très râblé et très musclé. Il a le torse nu et porte des shorts et il trouve le moyen d’accentuer sa petitesse en se tenant courbé. Son visage, jeune et rasé, possède, au repos, une expression normale. Mais dès qu’il trahit un sentiment quelconque, il se transforme en un jeu très compliqué de rides qui, de la bouche, du front, des oreilles, de partout, aboutissent aux yeux, plissés comme si le mistral soufflait.

Je demande, étonné :

— Qui es-tu ?

— Je suis l’infirmier adjoint, dit-il. Voulez-vous que je vous fasse une bonne orangeade ?

Et, sans attendre de réponse, il s’éloigne sur la pointe des pieds en prenant toutes sortes de précautions pour ne pas faire le moindre bruit. Puis, arrivé au seuil de la chambre, il referme tapageusement la porte derrière lui.

Cet aide-infirmier improvisé était timonier à bord d’un navire italien. Bon garçon malgré quelques sautes d’humeur, il possède la très précieuse qualité d’expulser en