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LA VILLE SANS FEMMES

homme qui, après avoir passé une grande partie de son existence dans la couture, fonda une paroisse. Ici, on l’appelle « le père », afin de le distinguer du fils, jeune et brillant notaire interné lui aussi mais pour peu de temps. Un Allemand carré et massif comme un rocher apporte les repas aux malades. L’infirmier adjoint, lui, me seconde le jour et la nuit en toutes circonstances.

Malgré toute la vigilance possible, il arrive souvent des coups imprévus. Ainsi, lundi, on amena à l’hôpital, vers cinq heures du soir, un marin hollandais qui, s’étant fracturé la cheville en jouant au football, eut le pied mis en plâtre. Mardi matin, l’infirmier adjoint fit irruption dans mon bureau, la mine bouleversée :

— Vous savez… le Hollandais ?

— Eh bien ?

— Il a fichu le camp !

Je faillis tomber à la renverse. Ce fut le veilleur de nuit qui me fournit l’explication de cette disparition :

— Comme le blessé ne parlait que le hollandais, il s’ennuyait ici et il est retourné dans sa baraque.

Le plus fort, c’est que c’était vrai.

Les fuites à l’hôpital sont plutôt extraordinaires, car cet asile, par les modestes commodités qu’il offre, constitue un oasis de bien-être dans l’ambiance tapageuse et le milieu mêlé des chambrées. Si bien qu’au contraire de ce qui se passe dans tous les autres hôpitaux du monde, où un malade est toujours heureux d’apprendre du médecin qu’il pourra bientôt sortir, personne ici n’est joyeux de s’en aller et