Page:Dumas.- Grand dictionnaire de cuisine, 1873.djvu/60

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seur le plus écouté de ce monde ; ses préceptes sont des lois sans appel. Carême est peut-être la seule gloire de son siècle qui n’ait pas été contestée. Enfin, M. le prince de Talleyrand, dont les bons mots sont autant de chapitres de l’histoire contemporaine, n’a pas été, dans sa longue vie, plus populaire par cet esprit qui éblouissait l’Europe, que par sa grande renommée, bien méritée, d’avoir été, même en comptant S. M. Louis XVIII, la première fourchette de son temps.

Nous savons bien, Monsieur, que vos prétentions ne vont pas si loin. Feu M. le marquis de Cussy, de friande mémoire, disait de vous que vous faisiez trop d’esprit à table pour savoir jamais bien dîner. Il prétendait que chez vous la forme emportait le fond. Puis, comme il ne voulait décourager personne : « Qui sait ? disait-il, il deviendra peut-être célèbre, quoiqu’il soit bien maladroit, un couteau à la main ! » Carême lui-même, peu de temps avant sa mort, affirmait qu’il eût fait quelque chose de vous s’il vous eût connu au beau temps de ses inspirations toutes royales. Brave et digne homme ! Si vous ne l’avez pas compris tout à fait, vous l’avez deviné. Vous avez fait comme ces gens zélés qui savent à peine la langue d’Homère, et qui, pour le seul enchantement de l’oreille, se lisent à eux-mêmes les plus beaux vers de l’Iliade. Ils s’amusent du son, ils rêvent le reste. À la tête des gastronomes nous vous plaçons, Monsieur, sinon pour votre gourmandise encore peu éclairée, du moins pour votre volonté, pour votre zèle, pour votre honnête envie de faire quelque jour, quand vous aurez assez de loisirs, de notables progrès dans cette grande science du bien-vivre, qui est, à bien prendre, la science mignonne de tous les hommes distingués de l’univers.

Voilà pourquoi cette Encyclopédie des bons viveurs paraîtra sous vos auspices. Plaise au dieu tout-puissant de Désaugiers et de Pétrone que ce livre porte d’heureux fruits. Hélas ! nous avons besoin de frapper un grand coup, qui rende aux utiles plaisirs de la table leur popularité d’autrefois, qui réveille l’appétit presque aussi blasé que l’esprit même de nos contemporains.

Il faut l’avouer, quoi qu’il nous en coûte, les gourmands s’en vont plus encore que les grands poëtes. Les meilleures tables ont été renversées par la mort ou par les révolutions, pires que la