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Votre patrie aussi me fut hospitalière.
Je ne l’oublirai pas, et je voudrais pouvoir
Vous rendre cet accueil qu’elle crut me devoir.

LA CALPRENÈDE, avec un léger accent gascon.

Je viens, poëte indigne, et chevalier profane,
Comme jadis Cyrus à la cour de Mandane,
N’osant envisager votre front glorieux,
De peur que trop d’éclat n’éblouisse mes yeux.

CHRISTINE.

Depuis qu’il a perdu sa royale couronne
L’éclat de notre front n’éblouit plus personne.

LA CALPRENÈDE.

Mais ce front, où le ciel imprima la grandeur,
En perdant sa couronne a gardé sa splendeur.

CHRISTINE.

Dites-le, c’est très-bien ; mais moi je le dénie.

(À Corneille.)

Et vous, que lisez-vous sur mon front ?

CORNEILLE.

Et vous, que lisez-vous sur mon front ? Du génie.

CHRISTINE.

Oh ! j’accepte cela. —

(À Monaldeschi.)

Oh ! j’accepte cela. — Voyez donc, cher marquis,
C’est l’ombre d’une cour, c’est Stockholm en croquis.

MONALDESCHI.

Madame, en abdiquant la grandeur souveraine,
De tous les cœurs encor vous demeurez la reine ;
Les arts sont accourus sur vos pas protecteurs.

CHRISTINE.

C’est une cour, Ebba, nous avons des flatteurs.
De l’art du courtisan il a fait une étude,
Et vous voyez l’effet d’une vieille habitude.
Vous ne me flattez pas, vous, Steinberg ?

STEINBERG.

Vous ne me flattez pas, vous, Steinberg ? J’en conviens.

CHRISTINE.

Vous êtes Français, vous ; mais ces Italiens,
L’idiome mielleux qui détrempe leurs âmes
Semblerait fait exprès pour un peuple de femmes ;
D’énergiques accents ont peine à s’y mêler.
Un homme est là, l’on croit qu’en homme il va parler :
Il parle, on se retourne, et, par un brusque échange,
À la place d’un homme, on trouve une louange.

(À La Calprenède.)

Que si je comprends bien, monsieur jadis brillait
Parmi les beaux esprits de l’hôtel Rambouillet ;
Là s’assemblait la fleur de la littérature :
Bois-Robert, Desmarets, Benserade, Voiture.

LA CALPRENÈDE.

Vous oubliez leur chef, l’immortel Scudéri,
Docteur en doux parler, maître en style fleuri.

CHRISTINE.

Ah ! vous le connaissez ? Faites-moi donc entendre
Ce que signifiait son royaume de Tendre ?

LA CALPRENÈDE.

C’était, sur mon honneur, d’un goût délicieux.
J’en ai le plan ; daignez y reposer les yeux.

CHRISTINE.

Voyons.

LA CALPRENÈDE, déroulant une carte.

Voyons. D’abord, le Tendre était une contrée
Des vulgaires amants tout à fait ignorée,
Sise sous un ciel pur, dans un pays charmant,
Que traverse en entier le fleuve Sentiment.
De ce fleuve suivez la course vagabonde ;
À sa source d’abord il baigne de son onde
Le village isolé de Douce-Émotion.
Vous voyez son pendant Tendre-Sensation ;
Vous pouvez distinguer sur le même rivage
Les hameaux Petits-Soins, Billets-Doux et Message ;
Ces hameaux dépassés, on va vite en un jour :
On pourrait les nommer Antichambres d’amour.
En deux routes ici le pays se divise :
L’une mène au castel d’Amoureuse-Entreprise ;
L’autre, dont vous pouvez comprendre la longueur,
Suit ce triste chemin que l’on nomme Langueur :
Souvent il aboutit au lac d’Indifférence ;
C’est le moins usité, l’autre a la préférence.

CHRISTINE.

Hé Bien, revenons-y.

LA CALPRENÈDE.

Hé Bien, revenons-y. Non loin de ce château,
Vous pouvez distinguer, au penchant d’un coteau,
Parfait-Contentement ; la forêt du Mystère
Y verse incessamment son ombre solitaire.
Heureux qui peut en paix, sous l’aile des amours,
Aux regards envieux y dérober ses jours !
Mais, hélas ! il n’est point pour une âme mortelle
De jours longtemps sereins ni de flamme éternelle ;
Et souvent de ce lieu, quand le désir a fui,
On sort par deux chemins, le Caprice ou l’Ennui.
Eh bien ! que dites-vous de la carte amoureuse ?

CHRISTINE.

L’idée en est, monsieur, on ne peut plus heureuse ;
Mais j’y cherche un chemin oublié sans raisons.

LA CALPRENÈDE.

Lequel ?

CHRISTINE.

Lequel ? Celui qui mène aux Petites-Maisons.

LA CALPRENÈDE.

Nos héros, qui n’ont plus de têtes si légères,
S’ils sont trahis, se font ou bergers ou bergères.
Les Petites-Maisons, vous le voyez donc bien,
Dès qu’il n’est plus de fous, ne serviraient à rien.

CHRISTINE.

C’est juste. Oh ! que ne puis-je ici voir réunie
Cette troupe savante, école du génie,
Où près de Pavillon, Bois-Robert, Desmarets,
Sans doute vous brillez primus inter pares !

LA CALPRENÈDE.

Sans prétendre à l’éclat de tant de renommée,
On y tenait, madame, une place estimée.
Mes ouvrages divers, empreints de leurs couleurs,
Peuvent être cités et lus après les leurs.
De mes romans surtout le public idolâtre,
A vraiment dévoré Cassandre et Cléopâtre.
Pardon, si je parais en faire quelque cas,
Mais je serais le seul qui ne les loûrait pas.

CHRISTINE.

Quoi ! vous êtes l’auteur… ? Que Dieu me soit en aide,
Si nous ne possédons monsieur La Calprenède !