Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/366

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neur d’une femme, n’est-ce donc rien ? Tu as juré ; mais moi, un mot, une pensée de toi, m’a fait oublier un serment fait à Dieu, et je l’oublierais encore ; et si tu m’en priais, j’oublierais le monde entier pour toi.

GAULTIER.

Et cependant tu veux que je parte ! tu veux que nous nous séparions !

MARGUERITE.

Oui, oui. Je l’ai promis au saint tribunal, cette séparation. Eh bien ! si tu l’exigeais, si j’avais la certitude que ces tablettes ne sont pas d’une femme, eh bien ! je braverais pour toi l’anathème de Dieu comme j’ai bravé celui des hommes ; car penses-tu qu’à la cour on croie à la pureté de notre amour ? Ils me croient coupable, n’est-ce pas, comme si je l’étais ? eh bien ! malgré la nécessité de ton départ, si tu me priais comme je te prie, je le dirais : Reste, mon Gaultier, reste ; meure ma réputation, meure ma puissance ! mais reste, reste près de moi, près de moi toujours !

GAULTIER.

Tu ferais cela ?

MARGUERITE.

Oui ! mais je suis une femme !… moi, dont l’honneur n’est rien, qui peux être parjure impunément et qu’on peut torturer à loisir, pourvu qu’on ne manque pas à sa parole de gentilhomme ; qu’on peut faire mourir de jalousie, pourvu qu’on garde son serment.

GAULTIER.

Mais si l’on savait jamais…

MARGUERITE.

Qui le saura ? avons-nous des témoins ici ?

GAULTIER.

Tu me les rendras demain avant dix heures.

MARGUERITE.

Je te les rendrai à l’instant même.

GAULTIER.

Mon Dieu, pardonnes-moi ! mais est-ce un ange ou un démon qui me fait ainsi oublier mon frère, mes serments, mon honneur ?

MARGUERITE, les prenant.

Je les tiens.

(Elle entre dans la chambre voisine.)
GAULTIER, seul.

Marguerite ! Marguerite ! Oh ! faiblesse humaine ! oh ! pardon, mon frère ! étais-je venu pour parler d’amour ? étais-je venu pour rassurer les craintes frivoles d’une femme ? J’étais venu pour te venger, mon frère ! pardon !

MARGUERITE, rentrant.

Oh ! j’étais insensée ! Non, non ! il n’y avait rien dans ces tablettes ; ce n’était point une femme qui te les avait données ! Mon Gaultier ne ment pas lorsqu’il dit qu’il m’aime, qu’il n’aime que moi. Eh bien ! moi aussi je n’aime que lui : moi aussi je tiendrai ma promesse, et nous ne serons pas séparés : peu m’importe les soupçons du roi ; je serais si heureuse de mourir pour mon chevalier !

GAULTIER.

Pensons à mon frère, Marguerite.

MARGUERITE.

Eh bien ! mon ami, des recherches ont déjà été faites, et l’on soupçonne…

GAULTIER.

Et qui soupçonne-t-on ?

MARGUERITE.

Un capitaine étranger qui n’est ici que depuis quelques jours, qui doit demain pour la première fois venir à la cour.

GAULTIER.

Son nom ?

MARGUERITE.

Buridan, je crois.

GAULTIER.

Buridan ! et vous avez donné l’ordre qu’il fût arrêté, n’est-ce pas ?

MARGUERITE.

C’est ce soir seulement que j’ai su cela, et je n’avais point là mon capitaine des gardes.

GAULTIER.

L’ordre ! l’ordre ! que j’arrête cet homme-là moi-même ! Oh ! un autre n’arrêtera pas l’assassin de mon frère ! l’ordre, Marguerite ! l’ordre, au nom du ciel !

MARGUERITE.

Tu l’arrêteras, toi ?

GAULTIER.

Oui ! fut-il en prière au pied de l’autel, je l’arracherai du pied de l’autel. Oui, je l’arrêterai, partout où il sera.

MARGUERITE, va à la table et signe un parchemin.

Voilà l’ordre.

GAULTIER.

Merci, merci, ma reine !

MARGUERITE, menaçante.

Oh ! Buridan, c’est moi maintenant qui tiens ta vie entre mes mains.