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Un cortége défilait venant de la Bastille et marchait vers le Garde-Meuble, ces deux nœuds de pierre qui attachaient à cette époque sa ceinture aux flancs de Paris.

Ce cortége, qui encombrait le boulevard, suivait une civière. Sur cette civière deux bustes étaient portés : l’un voilé par un crêpe, l’autre couronné de fleurs.

Le buste voilé par un crêpe était le buste de Necker, ministre non pas disgracié, mais renvoyé ; l’autre, c’est-à-dire le buste couronné de fleurs, était le buste du duc d’Orléans, qui avait pris hautement à la cour le parti de l’économiste de Genève.

Billot s’informa de ce que c’était que cette procession, on lui dit que c’était un hommage populaire rendu à monsieur Necker et à son défenseur monsieur le duc d’Orléans.

Billot était né dans un pays où le nom du duc d’Orléans était vénéré depuis un siècle et demi. Billot appartenait à la secte philosophique, et par conséquent regardait Necker, non-seulement comme un grand ministre, mais comme un apôtre de l’humanité.

C’était plus qu’il n’en fallait pour exalter Billot. Il sauta à bas de son cheval sans trop savoir ce qu’il faisait, criant : Vive le duc d’Orléans ! vive Necker ! et se mêla à la foule.

Une fois mêlé à la foule, la liberté individuelle disparaît. Comme chacun sait, on cesse d’avoir son libre arbitre, on veut ce que veut la foule, on fait ce qu’elle fait. Billot avait, au reste, d’autant plus de facilité à se laisser entraîner, qu’il était bien plutôt à la tête qu’à la queue du mouvement.

Le cortège criait à tue-tête : Vive Necker ! Plus de troupes étrangères ! À bas les troupes étrangères !

Billot mêla sa voix puissante à toutes ces voix.

Une supériorité, quelle qu’elle soit, est toujours appréciée par le peuple. Le Parisien des faubourgs, à la voix grêle ou rauque, affaiblie par l’inanition ou rongée par le vin, le Parisien du faubourg apprécia la voix pleine, fraîche et sonore de Billot et lui fit place ; de sorte que sans être trop bousculé, trop coudoyé, trop étouffé, Billot finit par parvenir jusqu’à la civière.

Au bout de dix minutes, un des porteurs, dont l’enthousiasme dépassait les forces, lui céda sa place.

Billot, on le voit, avait fait rapidement son chemin.

La veille, simple propagateur de la brochure du docteur Gilbert, il était, le lendemain, un des instruments du triomphe de Necker et du duc d’Orléans.

Mais à peine parvenu à ce poste, une idée lui traversa l’esprit.