Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/125

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— À présent, dit-il, sois calme. Je vais aller chercher ton père à la Bastille. — Malheureux ! dit le principal en prenant les mains de Billot, comment arriverez-vous à un prisonnier d’État ? — En prenant la Bastille, mille dieux !

Quelques gardes-françaises se mirent à rire. Au bout d’un instant la risée était devenue générale.

— Mais, cria Billot, en promenant autour de lui un regard étincelant de colère, qu’est-ce que c’est donc que la Bastille, s’il vous plaît ? — Des pierres, dit un soldat. — Du fer, dit un autre. — Et du feu, dit un troisième. Prenez garde, mon brave homme, on s’y brûle. — Oui, oui, l’on s’y brûle, répéta la foule avec terreur. — Ah ! Parisiens, hurla le fermier ; ah ! vous avez des pioches et vous craignez les pierres ; ah ! vous avez du plomb et vous craignez le fer ; ah ! vous avez de la poudre et vous craignez le feu. Parisiens poltrons ! Parisiens lâches ! Parisiens machines à esclavage ! Mille démons ! quel est l’homme de cœur qui veut venir avec moi et Pitou prendre la Bastille du roi. Je m’appelle Billot, fermier dans l’Ile-de-France. En avant !

Billot venait de s’élever au sublime de l’audace.

La foule, frémissante et enflammée, s’agitait autour de lui en criant : À la Bastille ! à la Bastille !

Sébastien voulut se cramponner à Billot, mais celui-ci le repoussa doucement.

— Enfant, demanda-t-il, quel est le dernier mot de ton père ? — Travail, répondit Sébastien. — Donc, travaille ici ; nous allons travailler là-bas. Seulement, notre travail à nous s’appelle détruire et tuer.

Le jeune homme ne répondit pas un mot ; il cacha son visage dans ses mains, sans même serrer les doigts d’Ange Pitou qui l’embrassait, et tomba dans des convulsions si violentes, qu’on fut forcé de l’emporter à l’infirmerie du collége.

— À la Bastille ! cria Billot. — À la Bastille ! cria Pitou. — À la Bastille ! répéta la foule.

Et l’on s’achemina vers la Bastille.