Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/158

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suis fermier. — Que vous n’êtes pas de Paris. — En effet, je suis de la province. — Que vous ne connaissez pas à fond la Bastille. — Vous avez raison, je ne connais que ce que j’en ai vu, c’est-à-dire les murs extérieurs. — Eh bien ! venez avec moi, je vais vous montrer ce que c’est que la Bastille. — Oh ! oh ! fit Billot, il va me faire passer sur quelqu’oubliette qui s’ouvrira tout à coup sous mes pieds, et puis bonsoir, père Billot. Mais l’intrépide fermier ne sourcilla point, et s’apprêta à suivre le gouverneur de la Bastille.

— D’abord, dit de Launay, vous saurez que j’ai dans mes caves assez de poudre pour faire sauter la Bastille, et avec la Bastille la moitié du faubourg Saint-Antoine. — Je sais cela, répondit tranquillement Billot.

— Bien. Voyez d’abord ces quatre pièces de canon. — Je les vois. — Elles enfilent toute cette galerie, comme vous voyez encore, et cette galerie est défendue d’abord par un corps de garde, ensuite par deux fossés qu’on ne peut traverser qu’à l’aide de deux ponts-levis, enfin par une grille. — Oh ! je ne dis pas que la Bastille est mal défendue, répondit tranquillement Billot ; seulement je dis qu’elle sera bien attaquée. — Continuons, dit de Launay.

Billot fit de la tête un signe d’assentiment.

— Voici une poterne qui donne sur les fossés, dit le gouverneur ; voyez l’épaisseur des murs. — Quarante pieds à peu près. — Oui, quarante en bas et quinze en haut. Vous voyez bien que si bons ongles qu’ait le peuple, il se les retournera sur cette pierre. — Je n’ai pas dit, reprit Billot, que le peuple démolirait la Bastille avant de la prendre, j’ai dit qu’il la démolirait après l’avoir prise. — Montons, fit de Launay. — Montons.

Ils montèrent une trentaine de marches.

Le gouverneur s’arrêta.

— Tenez, dit-il, voici encore une embrasure qui donne sur le passage par lequel vous voulez entrer, celle-ci n’est défendue que par un fusil de rempart ; mais il a une certaine réputation. Vous savez l’air : ma tendre musette.

Musette de mes amours !

— Certainement, dit Billot, que je le sais ; mais je ne crois pas que ce soit l’heure de le chanter. — Attendez donc. Eh bien ! le maréchal de Saxe appelait ce petit canon sa musette, parce que c’était lui qui chantait le plus juste l’air qu’il aimait le mieux. C’est un détail historique. — Oh ! fit Billot. — Montons.

Et ils continuèrent de monter.

On arriva sur la plate-forme de la tour de la Comté.