Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/178

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Billot qu’on vengeait, Billot était vivant ; Billot n’était pas même blessé ; la planche avait tourné sous son pied, voilà tout. Il avait pris un bain de fange, et pas autre chose.

C’était surtout aux suisses qu’on en voulait particulièrement, mais l’on ne trouvait plus de suisses ; ils avaient eu le temps de passer des sarraux de toile grise, et on les prenait pour des domestiques ou des prisonniers. La foule brisa à coups de pierre les deux captifs du cadran. La foule s’élança au haut des tours pour insulter ces canons qui avaient vomi la mort. La foule s’en prenait aux pierres, et s’ensanglantait les mains en voulant les arracher.

Quand on vit apparaître les premiers vainqueurs sur la plate-forme, tout ce qui était en dehors, c’est-à-dire cent mille hommes, jeta une immense clameur.

Cette clameur s’éleva sur Paris, et s’élança sur la France comme une aigle aux ailes rapides :

— La Bastille est prise !

À ce cri les cœurs se fondirent, les yeux se mouillèrent, les bras s’ouvrirent ; il n’y eut plus de partis opposés, il n’y eut plus de castes ennemies, tous les Parisiens sentirent qu’ils étaient frères, tous les hommes comprirent qu’ils étaient libres.

Un million d’hommes s’étreignit dans un mutuel embrassement.

Billot et Pitou étaient entrés à la suite des uns et précédant les autres ; ce qu’ils voulaient, eux, ce n’était pas leur part du triomphe, c’était la liberté des prisonniers.

En traversant la cour du Gouvernement, ils passèrent près d’un homme en habit gris, qui se tenait calme et la main appuyée sur une canne à pomme d’or.

Cet homme, c’était le gouverneur. Il attendait tranquillement, ou que ses amis le sauvassent ou que ses ennemis vinssent le frapper.

Billot, en l’apercevant, le reconnut, poussa un cri, et marcha à lui.

De Launay lui aussi le reconnut. Il se croisa les bras et attendit, regardant Billot comme pour lui dire :

— Voyons, est-ce vous qui me porterez le premier coup ?

Billot comprit et s’arrêta.

— Si je lui parle, dit-il, je le fais reconnaître ; s’il est reconnu, il est mort.

Et cependant comment trouver le docteur Gilbert au milieu de ce chaos ? Comment arracher à la Bastille le secret enfermé dans ses entrailles ?

Toutes ces hésitations, tout ce scrupule héroïque, de Launay le comprit de son côté.