Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/210

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Mais, sans rien demander, il se contenta de suivre la baronne qui se mit à marcher fort vite du côté du château.

On retrouva devant la façade le même laquais qui avait reçu Gilbert. Madame de Staël lui fit un signe, et ouvrant les portes elle-même, elle conduisit Gilbert dans son cabinet, charmante retraite, plus masculine au reste que féminine, et dont la seconde porte et les deux fenêtres donnaient sur un petit jardin, inaccessible non-seulement aux personnes étrangères, mais encore aux regards étrangers. Arrivée là, madame de Staël referma la porte, et se tournant vers Gilbert :

— Monsieur, dit-elle, au nom de l’humanité ! je vous somme de me dire quel est le secret utile à mon père qui vous amène à Saint-Ouen.

— Madame, dit Gilbert, si monsieur votre père pouvait m’entendre d’ici, s’il pouvait savoir que je suis l’homme qui ai envoyé au roi les mémoires secrets intitulés : De la Situation des idées et du progrès, je suis sûr que monsieur le baron de Necker paraîtrait tout à coup, et me dirait : Docteur Gilbert, que voulez-vous de moi ? parlez, je vous écoute.

Gilbert n’avait pas achevé ces paroles, qu’une porte cachée dans un panneau peint par Van Loo s’ouvrit sans faire de bruit, et que le baron Necker parut souriant, sur le seuil d’un petit escalier tournant, au haut duquel on voyait sourdre la lumière d’une lampe. Alors la baronne de Staël fit un salut à Gilbert, et embrassant son père au front, elle prit le chemin qu’il venait de parcourir, remonta l’escalier, ferma le panneau, et disparut.

Necker s’était avancé vers Gilbert, il lui tendit la main en disant :

— Me voilà, monsieur Gilbert ; que voulez-vous de moi ? parlez, je vous écoute.

Tous deux prirent des sièges.

— Monsieur le baron, dit Gilbert, vous venez d’entendre un secret qui vous révèle toutes mes idées. C’est moi qui, il y a quatre ans, ait fait parvenir au roi un mémoire sur la situation générale de l’Europe ; c’est moi qui, depuis ce temps, lui ai envoyé des États-Unis les différents mémoires qu’il a reçus sur toutes les questions de conciliation et d’administration intérieures qui se sont élevées en France. — Mémoires dont Sa Majesté, répondit monsieur de Necker en s’inclinant, ne m’a jamais parle sans une admiration et une terreur profondes. — Oui, parce qu’ils disaient la vérité, n’est-ce pas ? Parce que la vérité était alors terrible à entendre, et qu’aujourd’hui, qu’elle est devenue un fait, elle est encore plus terrible à voir ? — C’est incontestable. Monsieur, dit Necker.

— Ces mémoires, demanda Gilbert, le roi vous les a-t-il communiqués ? —