Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/239

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La tête était légèrement renversée en arrière avec une grâce inexprimable, presque angélique.

On eût dit que ce regard immobile, doublant son étendue par sa fixité, pénétrait jusqu’au pied du trône de Dieu.

Le roi demeura comme ébloui. Gilbert détourna la tête en soupirant ; il n’avait pu résister au désir de donner à Andrée ce degré de beauté surhumaine ; et maintenant, comme Pygmalion, plus malheureux que Pygmalion, car il connaissait l’insensibilité de la belle statue, il s’effrayait de son œuvre même.

Il fit un geste, sans même retourner la tête vers Andrée, et les yeux se fermèrent.

Le roi voulut se faire expliquer par Gilbert cet état merveilleux dans lequel l’âme se dégage du corps et plane, libre, heureuse, divine, au-dessus des misères terrestres.

Gilbert, comme tous les hommes véritablement supérieurs, savait prononcer ce mot qui coûte tant à la médiocrité : Je ne sais pas. Il avoua au roi son ignorance ; il produisait un phénomène qu’il ne pouvait définir : le fait existait ; l’explication du fait n’existait pas.

— Docteur, dit le roi à cet aveu de Gilbert, voilà encore un de ces secrets que la nature garde pour les savants d’une autre génération, et qui sera approfondi comme tant d’autres mystères que l’on croyait insolubles. Nous les appelons mystères, nous ; nos pères les eussent appelés sortilèges ou sorcelleries. — Oui, sire, répondit Gilbert en souriant, et j’eusse eu l’honneur d’être brûlé en place de Grève pour la plus grande gloire d’une religion qu’on ne comprenait pas, par des savants sans science et par des prêtres sans foi. — Et sous qui avez-vous étudié cette science ? reprit le roi ; est-ce sous Mesmer ? — Oh ! sire, dit Gilbert en souriant, j’avais vu les plus étonnants phénomènes de cette science dix ans avant que le nom de Mesmer fût prononcé en France. — Dites-moi, ce Mesmer qui a révolutionné tout Paris, était-il, à votre avis, un charlatan, oui ou non ? Il me semble que vous opérez bien plus simplement que lui. J’ai entendu raconter ses expériences, celles de Deslon, celles de Puységur. Vous savez tout ce que l’on a dit à ce sujet, billevesées ou vérités. — J’ai suivi tout ce débat, oui, sire. — Eh bien ! que pensez-vous du fameux baquet ? — Que Votre Majesté daigne m’excuser si à tout ce qu’elle me demande à l’endroit de l’art magnétique je réponds par le doute. Le magnétisme n’est pas encore un art. — Ah ! — Seulement, c’est une puissance, puissance terrible, puisqu’elle annihile le libre arbitre, puisqu’elle isole l’âme du corps, puisqu’elle met le corps de la somnambule aux mains du magnétiseur, sans que celle-ci conserve la puissance ou même la volonté de se défendre. Quant à moi, sire, j’ai vu opérer d’étranges phé-