Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/24

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n’atteignît l’âge de connaissance, Ange Pitou, adoré de la pauvre femme, avait à peu près fait ce qu’il avait voulu, ce qui avait fort développé son éducation physique, mais tout à fait laissé en arrière son éducation morale. Né dans un charmant village nommé Haramont, situé à une lieue de la ville, au milieu des bois, ses premières courses avaient été pour explorer la forêt natale, et la première application de son intelligence de faire la guerre aux animaux qui l’habitaient. Il résulta de cette application dirigée vers un seul but, qu’à dix ans Ange Pitou était un braconnier fort distingué et un oiseleur de premier ordre, et cela presque sans travail, et surtout sans leçons, par la seule force de cet instinct donné par la nature à l’homme né au milieu des bois, et qui semble une portion de celui qu’il a donné aux animaux. Aussi, pas une passée de lièvres ou de lapins ne lui était inconnue. À trois lieues à la ronde pas une marette[1] n’avait échappé à son investigation, et partout on trouvait les traces de sa serpe sur les arbres propres à la pipée. Il résultait de ces différents exercices sans cesse répétés que Pitou était devenu, à quelques-uns d’entre eux, d’une force extraordinaire.

Grâce à ses longs bras et à ses gros genoux, qui lui permettaient d’embrasser les baliveaux les plus respectables, il montait aux arbres pour dénicher les nids les plus élevés avec une agilité et une certitude qui lui attiraient l’admiration de ses compagnons, et qui, sous une latitude plus rapprochée de l’équateur, lui eussent valu l’estime des singes. Dans cette chasse de la pipée, chasse si attrayante même pour les grandes personnes et où le chasseur attire les oiseaux sur un arbre garni de gluaux, en imitant le cri du geai ou de la chouette, individus qui jouissent chez la gent emplumée de la haine générale de l’espèce, si bien que chaque pinson, chaque mésange, chaque tarin, accourt dans l’espoir d’arracher une plume à son ennemi, et pour la plupart du temps y laisser les siennes, les compagnons de Pitou se servaient, soit d’une véritable chouette, soit d’un geai naturel, soit enfin d’une herbe particulière, à l’aide de laquelle ils parvenaient, tant bien que mal, à simuler le cri de l’un ou de l’autre de ces animaux ; mais Pitou négligeait toutes ces préparations, méprisait tous ces subterfuges : c’était avec ses propres ressources qu’il combattait, c’était avec ses moyens naturels qu’il tendait le piège ; c’était enfin sa bouche seule qui modulait les sons criards et détestés qui appelaient non-seulement les autres oiseaux, mais encore ceux de la même espèce, qui se laissaient tromper, nous ne dirons pas à ce chant, mais à ce cri, tant il était parfaitement imité. Quant à la chasse à la marette, c’était pour Pitou le pont aux ânes, et il l’eût certes méprisée comme objet

  1. Petite mare où les oiseaux vont boire.