Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/256

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Marie-Antoinette marcha droit à lui.

— Monsieur de Charny ! s’écria-t-elle ; monsieur de Charny, vous ici ?

En voyant que celui qu’elle interpellait ainsi s’inclinait respectueusement, selon l’étiquette, elle fit un signe à la femme de chambre, qui se retira en fermant les portes.

La reine donna à la porte à peine le temps de se fermer, et, saisissant la main de monsieur de Charny avec force :

— Comte ! s’écria-t-elle, pourquoi êtes-vous ici ? — Parce que j’ai cru que c’était mon devoir d’y venir, Madame, dit le comte. — Non ; votre devoir, c’était de fuir Versailles, c’était de faire ce qui était convenu, c’était de m’obéir, c’était de faire enfin comme tous mes amis qui ont eu peur de ma fortune ; votre devoir, c’est de ne rien sacrifier à mon destin ; votre devoir, c’est de vous éloigner de moi. — De m’éloigner de vous ? dit-il. — Oui, de me fuir. — De vous fuir ! Et qui donc vous fuit, Madame ? — Ceux qui sont sages. — Je crois être bien sage, Madame, et voilà pourquoi je suis venu à Versailles. — Et d’où arrivez-vous ? — De Paris. — De Paris révolté ? — De Paris, bouillant, ivre, ensanglanté.

La reine mit ses deux mains sur son visage.

— Oh ! dit-elle, pas un, même vous, ne viendra donc pour m’annoncer une bonne nouvelle ! — Madame, dans les circonstances où nous sommes, demandez à vos messagers de ne vous annoncer qu’une chose : la vérité. — Et c’est la vérité que vous venez de me dire ? — Comme toujours, Madame. — Vous êtes une âme honnête, Monsieur, un brave cœur. — Je suis un sujet fidèle, Madame, voilà tout. — Eh bien ! grâce pour le moment, mon ami, ne me dites pas un mot. Vous arrivez au moment où mon cœur se brise ; mes amis, pour la première fois, m’accablent aujourd’hui avec cette vérité que vous vous m’avez toujours dite. Oh ! cette vérité, comte, il était impossible de me la taire plus longtemps ; elle éclate dans tout : dans le ciel qui est rouge, dans l’air qui s’emplit de bruits sinistres, dans la physionomie des courtisans, qui sont pâles et sérieux. Non ! non ! comte, pour la première fois de votre vie, ne me dites pas la vérité.

Le comte regarda la reine à son tour.

— Oui, oui, dit-elle, vous qui me savez brave, vous vous étonnez, n’est-ce pas ? Oh ! vous n’êtes pas au bout de vos surprises, allez.

Monsieur de Charny laissa échapper un geste interrogateur.

— Vous verrez tout à l’heure, dit la reine avec un sourire nerveux. — Votre Majesté souffre ? demanda le comte. — Non ! non ! Monsieur, venez vous asseoir près de moi, et plus un mot sur toute cette affreuse politique. Tâchez que j’oublie…

Le comte obéit avec un triste sourire.