Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/275

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Allez ! en vérité, je suis bien heureuse que vous me disiez de pareilles choses en tête-à-tête. Si l’on vous entendait ! — Oh oui ! oui ! répliqua le roi, vous ne m’apprenez rien de nouveau. Oui, je sais bien que si vos Polignac, vos Dreux-Brézé, vos Clermont-Tonnerre, vos Coigny m’entendaient, ils hausseraient les épaules en arrière de moi, je le sais bien ; mais ils me font bien autrement pitié, eux, ces Polignac qui vous grugent et qui vous affichent, à qui vous avez un beau matin donné le comté de Fénestrange qui vous a coûté douze cent mille livres ; votre Sartines, à qui je fais déjà une pension de quatre-vingt-neuf mille livres, et qui vient de recevoir de vous deux cent mille livres à titre de secours ; le prince de Deux-Ponts, à qui vous me forcez d’accorder neuf cent quarante-cinq mille livres pour l’acquittement de ses dettes ; Marie de Laval et madame de Magnenville, qui touchent chacune quatre-vingt mille livres de pension ; Coigny, qui est comblé de toute façon, et qui, un jour où je voulais faire une réduction sur ses appointements, m’a pris entre deux portes, et m’eût battu, je crois, si je n’avais fait selon son désir. Ce sont vos amis tous ces gens-là, n’est-ce pas ? Eh bien ! parlez-en. Eh bien ! moi, je vous dis une chose, et vous ne la croirez pas, attendu que c’est une vérité : si, au lieu d’être à la cour, vos amis eussent été à la Bastille, eh bien ! le peuple l’eût fortifiée au lieu de la démolir. — Oh ! fit la reine en laissant échapper un mouvement de rage. — Dites tout ce que vous voudrez, c’est comme cela, répliqua tranquillement Louis XVI. — Oh ! votre peuple bien-aimé, eh bien ! il n’aura pas longtemps sujet de haïr encore mes amis, car ils s’exilent. — Ils partent ! s’écria le roi. — Oui, ils partent. — Polignac ? les femmes ? — Oui. — Oh ! tant mieux, s’écria le roi, tant mieux ! Dieu soit béni ! — Comment, tant mieux ! Comment, Dieu soit béni ! Et vous ne les regrettez pas ? — Non ! il s’en faut. Manquent-ils d’argent pour leur départ ? je leur en donnerai. Celui-là ne sera pas mal employé, je vous en réponds. Bon voyage, Messieurs ! bon voyage, Mesdames ! dit le roi avec un sourire charmant. — Oh ! oui ! oui ! dit la reine, je conçois que vous approuviez des lâchetés. — Voyons, entendons-nous ; vous leur rendez donc justice, enfin ? — Ils ne partent pas ! s’écria la reine, ils désertent ! — Peu m’importe ! pourvu qu’ils s’éloignent. — Et quand on pense que ces infamies, c’est votre famille qui les conseille ! — Ma famille conseille à tous vos favoris de s’en aller ? Je ne croyais pas ma famille si sage. Et, dites-moi, quels sont les membres de ma famille qui me rendent ce service, afin que je les remercie ? — Votre tante Adélaïde, votre frère d’Artois. — Mon frère d’Artois ! Est-ce que vous croyez qu’il suivrait pour son compte le conseil qu’il donne ? Est-ce que vous croyez qu’il partirait aussi ? — Pourquoi pas ? s’écria Marie-Antoinette, essayant de piquer le roi. — Que le