Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/284

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

jardins que les pas des patrouilles criant sur le sable ; dans les longs corridors que la crosse des fusils tombant discrètement sur la dalle du marbre, Marie-Antoinette, lasse de son repos, éprouvant le besoin de respirer, descendit de son lit, chaussa ses pantoufles de velours, et s’enveloppant d’un long peignoir blanc, vint à la fenêtre aspirer la fraîcheur montant des cascades, et saisir au passage ces conseils que le vent des nuits murmure aux fronts brûlants, aux cœurs oppressés.

Alors elle repassa dans son esprit tout ce que cette journée étrange lui avait apporté d’événements imprévus.

La chute de la Bastille, cet emblème visible du pouvoir royal, les incertitudes de Charny, cet ami dévoué, ce passionné captif qu’elle tenait depuis tant d’années sous le joug et qui, n’ayant jamais soupiré que l’amour, semblait, pour la première fois, soupirer le regret et le remords.

Avec cet habitude de synthèse que donne aux grands esprits l’habitude des hommes et des choses, Marie-Antoinette fit à l’instant même deux parts de ce malaise qu’elle éprouvait, et qui renfermait un malheur politique et un chagrin de cœur.

Le malheur politique était cette grande nouvelle qui, partie de Paris à trois heures de l’après-midi, allait se répandre sur le monde et entamer dans tous les esprits la révérence sacrée accordée jusque-là aux rois mandataires de Dieu.

Le chagrin de cœur, c’était cette sourde résistance de Charny à l’omnipotence de la souveraine bien-aimée. C’était comme un pressentiment que, sans cesser d’être fidèle et dévoué, l’amour allait cesser d’être aveugle, et pouvait commencer à discuter sa fidélité et son dévouement.

Cette pensée étreignait cruellement le cœur de la femme, l’emplissait de ce fiel amer qu’on appelle la jalousie, âcre poison qui ulcère à la fois mille petites plaies dans une âme blessée.

Toutefois, chagrin en présence de malheur, c’était une infériorité pour la logique.

Aussi, plutôt par raisonnement que par conscience ; plutôt par nécessité que par instinct, Marie-Antoinette laissa d’abord son âme aux graves pensées du danger de la situation politique.

Où se tourner : haine et ambition en face ; faiblesse et indifférence à ses côtés. Pour ennemis, des gens qui, ayant commencé par la calomnie, en venaient aux rébellions.

Des gens qui, par conséquent, ne reculeraient devant rien.

Pour défenseurs, nous parlons de la majeure partie du moins, des hommes qui peu à peu s’étaient accoutumés à tout endurer, et qui, par conséquent, ne sentiraient plus la profondeur des blessures.

Des gens qui hésiteraient à riposter dans la crainte de faire du bruit.