Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/319

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soie d’une couleur violette. Les Parisiens sont accoutumés à me voir ainsi vêtu ; ils aimaient chez moi cette couleur, sur laquelle, d’ailleurs, un cordon bleu fait bien. Vous me l’avez dit vous-même assez souvent. — Je n’ai, sire, aucune objection à faire contre la nuance de votre habit. — Alors ? — C’est contre la doublure. — Vraiment, vous m’intriguez avec cet éternel sourire… la doublure… quelle plaisanterie !… — Je ne plaisante plus, hélas ! — Bon, voilà que vous palpez ma veste, à présent, vous déplaît-elle aussi ? Taffetas blanc et argent, garniture que vous m’avez brodée vous-même, une de mes vestes favorites. — Je n’ai rien non plus contre la veste. — Que vous êtes singulière ! c’est le jabot, c’est la chemise de batiste brodée qui vous offusquent ? Eh ! ne dois-je pas faire toilette pour aller voir ma bonne ville de Paris ?

Un amer sourire plissa les lèvres de la reine ; sa lèvre inférieure surtout, celle qu’on lui reprochait tant, à l’Autrichienne, s’épaissit et s’avança comme si elle se fut gonflée de tous les poisons de la haine et de la colère.

— Non, dit-elle, je ne vous reproche pas voire belle toilette, sire, c’est toujours la doublure, toujours, toujours. — La doublure de ma chemise brodée ! ah ! expliquez-vous, enfin. — Eh bien ! je m’explique le roi, haï, gênant, qui va se jeter au milieu de sept cent mille Parisiens ivres de leurs triomphes et de leurs idées révolutionnaires, le roi n’est pas un prince du moyen âge, et cependant il devrait faire aujourd’hui son entrée à Paris dans une bonne cuirasse de fer, sous un armet de bon acier de Milan ; il devrait s’y prendre de façon, ce prince, que pas une balle, pas une hache, pas une pierre, pas un couteau ne pût trouver le chemin de sa chair. — C’est vrai au fond, dit Louis XVI pensif ; mais, ma bonne amie, comme je ne m’appelle ni Charles VIII, ni François Ier, ni même Henri IV ; comme la monarchie d’aujourd’hui est nue sous le velours et la soie, j’irai nu sous mon habit de soie, et pour mieux dire j’irai avec un point de mire qui pourra guider les balles. J’ai la plaque des ordres sur le cœur.

La reine poussa un gémissement étouffé.

— Sire, dit-elle, nous commençons à nous entendre. Vous allez voir, vous allez voir que votre femme ne plaisante plus.

Elle fit un signe à madame Campan, qui était restée au fond de la chambre, et celle-ci prit dans un tiroir du chiffonnier de la reine un objet de forme large, plate et oblongue, caché dans une enveloppe de soie.

— Sire, dit la reine, le cœur du roi appartient d’abord à la France, c’est vrai, mais je crois beaucoup qu’il appartient à sa femme et à ses enfants. Pour ma part, je ne veux pas que ce cœur soit exposé aux