Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/322

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allemande se brisa net sur les mailles. Tenez, voici les deux morceaux, sire : je veux vous faire faire un poignard avec ce qui reste. — Oh ! mais c’est fabuleux, cela, dit le roi ; et pas de brèche ? — Une égratignure au chaînon supérieur, et il y en a trois l’un sur l’autre, s’il vous plaît. — Je voudrais voir. — Vous verrez.

Et la reine se mit à déshabiller le roi avec une prestesse merveilleuse, pour lui faire admirer son idée et ses hauts faits.

— Voici une place un peu gâtée, ce me semble, dit le roi en montrant du doigt une légère dépression produite sur une surface d’environ un pouce. — C’est la balle du pistolet, sire. — Comment, vous avez tiré un coup de pistolet à balles, vous ? — Je vous montre la balle aplatie, noire encore. Tenez, croyez-vous maintenant que votre existence soit en sûreté ? — Vous êtes un ange tutélaire, dit le roi qui se mit à dégraffer lentement le gilet pour mieux observer la trace du coup de couteau et la trace de la balle. — Jugez de ma frayeur, cher roi, dit Marie-Antoinette, quand il me fallut lâcher le coup de pistolet sur la cuirasse. Hélas ! ce n’était rien encore que de faire cet affreux bruit dont j’ai tant peur ; mais c’est qu’il me semblait, en tirant sur le gilet destiné à vous protéger, que je tirais sur vous-même ; c’est que j’avais crainte de voir un trou dans les mailles, et alors mon travail, mes peines, mon espoir étaient à jamais ruinés. — Chère femme, dit Louis XVI en dégraffant complétement le gilet, que de reconnaissance !

Et il déposa le plastron sur une table.

— Et bien ! que faites-vous donc ? demanda la reine.

Et elle prit le gilet qu’elle présenta une seconde fois au roi.

Mais lui, avec un sourire plein de grâce et de noblesse :

— Non, dit-il, merci. — Vous refusez ? s’écria la reine. — Je refuse. — Oh ! mais, songez-y donc, sire. — Sire !… supplia madame Campan. — Mais c’est le salut ; mais c’est la vie ! — C’est possible, dit le roi. — Vous refusez le secours que Dieu lui-même vous envoie ? — Assez ! assez ! dit le roi. — Oh ! vous refusez ! vous refusez ! — Oui, je refuse. — Mais ils vous tueront ! — Ma chère, quand les gentilhommes sont en campagne, au dix-huitième siècle, ils y sont en habit de drap, veste et chemise, c’est pour les balles : quand ils vont sur le terrain d’honneur, ils ne gardent que la chemise, c’est assez pour l’épée. Moi, je suis le premier gentilhomme de mon royaume, je ne ferai ni plus ni moins que mes amis. Il y a plus ; là où ils prennent du drap, j’ai seul le droit de porter de la soie. Merci, ma chère femme, merci, ma bonne reine, merci. — Ah ! s’écria la reine, désespérée et ravie ; pourquoi son armée ne l’entend-elle pas ?

Quant au roi, il avait achevé de s’habiller tranquillement, sans