Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/354

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la salle dans son cabinet, après une délibération ; il s’élança vers lui et lui apprit la nouvelle.

Mais ce fut à Billot, à son tour, de trouver un incrédule.

— Foulon ! Foulon ! s’écria le maire, folies ! — Tenez, monsieur Bailly, dit le fermier, voici Pitou qui l’a vu. — Je l’ai vu, monsieur le maire, fit Pitou en mettant une main sur la poitrine et en s’inclinant.

Et il raconta à Bailly ce qu’il venait de raconter à Billot.

Alors on vit pâlir le pauvre Bailly ; il comprenait toute l’étendue de la catastrophe.

— Et monsieur Acloque l’envoie ici ? murmura-t-il. — Oui, monsieur le maire. — Mais comment l’envoie-t-il ? — Oh ! soyez tranquille, dit Pitou, qui se méprenait à l’inquiétude de Bailly, il y a du monde pour garder le prisonnier ; on ne l’enlèvera pas en route. — Plût à Dieu qu’on l’enlevât ! murmura Bailly.

Puis, se retournant vers Pitou :

— Du monde… qu’entendez-vous, mon ami ? — J’entends du peuple, donc ! — Du peuple ? — Plus de vingt mille hommes, sans compter les femmes, dit Pitou triomphant. — Le malheureux ! s’écria Bailly. Messieurs ! messieurs les électeurs !

Et d’une voix stridente, désespérée, il appela près de lui tous les assesseurs.

On n’entendit, à son récit, qu’exclamations, que cris d’angoisses.

Un silence de terreur s’établit, pendant lequel un bruit confus, lointain, inqualifiable, commença de pénétrer dans l’hôtel de ville, pareil à ces susurrements du sang qui crie parfois aux oreilles dans les crises cérébrales.

— Qu’est-ce cela ? demanda un électeur. — Parbleu ! le bruit de la foule, répondit un autre.

Tout à coup une voiture roula rapidement sur la place ; elle renfermait deux hommes armés, qui en firent descendre un troisième, pâle et tremblant.

Derrière la voiture, conduite par Saint-Jean plus essoufflé que jamais, couraient une centaine de jeunes gens de douze à dix-huit ans, au teint hâve, aux yeux flamboyants.

Ils criaient : Foulon ! Foulon ! en courant presque aussi vite que les chevaux.

Les deux hommes armés cependant avaient quelques pas d’avance sur eux, ce qui leur donna le temps de pousser Foulon dans l’hôtel de ville, dont on ferma les portes sur ces aboyeurs enroués du dehors.

— Enfin, le voici, dirent-ils aux électeurs, qui attendaient au haut de l’escalier. Mordieu ! ce n’est pas sans peine. — Messieurs  ! Messieurs !