Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tueusement la foule, et essayaient de la calmer par des protestations.

Bailly avait presque perdu la tête. C’était la première fois que le pauvre astronome se trouvait en face de la grande bourrasque populaire.

— Que faire ? demandait-il aux électeurs, que faire ? — Le juger ! s’écrièrent plusieurs voix. — On ne juge pas sous l’intimidation de la foule, dit Bailly. — Dam ! dit Billot, avez-vous assez de troupes pour vous défendre ? — Nous n’avons pas deux cents hommes. — Il faudrait du renfort, alors. — Oh ! si monsieur de Lafayette était prévenu, s’écria Bailly. — Alors, prévenez-le. — Qui le préviendra ? Qui traversera les flots de cette multitude ? — Moi ! répliqua Billot.

Et il se préparait à sortir. Bailly l’arrêta.

— Insensé, dit-il, regardez cet océan. Vous serez englouti dans une seule de ses vagues. Si vous voulez arriver jusqu’à monsieur de Lafayette, et encore je ne réponds pas de vous, passez par les derrières. Allez. — Bien ! répondit simplement Billot.

Et il partit comme un trait.


XLI

LE BEAU-PÈRE


Cependant, comme le prouvaient les rumeurs toujours croissantes de la foule, les esprits s’allumaient sur la place. Ce n’était déjà plus de la haine, c’était de l’horreur ; on ne menaçait plus, on écumait.

Les cris : À bas Foulon ! Mort à Foulon ! se croisaient comme des projectiles mortels dans un bombardement ; la foule, toujours grossissant, venait étouffer pour ainsi dire les gardes à leurs postes.

Et déjà dans cette foule commençaient de circuler et de grandir ces bruits qui autorisent les violences.

Ces bruits ne menaçaient plus seulement Foulon, mais les électeurs qui le protégeaient.

— Ils ont laissé fuir le prisonnier ! disaient les uns. — Entrons ! entrons ! disaient les autres. — Incendions l’hôtel de ville ! — En avant ! en avant !

Bailly comprit qu’il n’y avait plus qu’une ressource, puisque monsieur de Lafayette n’arrivait pas.

C’était que les électeurs eux-mêmes descendissent, se mêlassent aux groupes, et essayassent de convertir les plus furieux.