Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/358

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Elle sentait, pour ainsi dire, l’odeur de la chair fraîche qui descendait l’escalier.

Billot s’était placé à la fenêtre avec quelques électeurs, avec Bailly lui-même, pour suivre le prisonnier des yeux, tandis qu’il traverserait la place sous l’escorte des gardes de la ville.

Chemin faisant, Foulon adressait çà et là des paroles perdues qui témoignaient d’une terreur profonde, mal déguisée sous des protestations de confiance.

— Noble peuple ! disait-il en descendant l’escalier, je ne crains rien ; je suis au milieu de mes concitoyens.

Et déjà les rires et les insultes se croisaient autour de lui, quand tout à coup il se trouva hors de la voûte sombre, au haut des escaliers donnant sur la place ; l’air et le soleil vinrent lui frapper le visage.

Aussitôt un seul cri, cri de rage, hurlement de menace, rugissement de haine, s’élança de vingt mille poitrines. À cette explosion, les gardes sont soulevés de terre, rompus, dispersés ; mille bras saisissent Foulon, l’enlèvent et le portent dans l’angle fatal, sous le réverbère, ignoble et brutal gibet des colères que le peuple appelait ses justices.

Billot, de sa fenêtre, voyait et criait ; les électeurs stimulaient aussi la garde, qui ne pouvait faire plus.

Lafayette, désespéré, se précipita hors de l’hôtel de ville, mais il ne put même entamer les premiers rangs de cette foule, qui s’étendait pareille à un lac immense entre lui et le réverbère.

Montant sur les bornes pour mieux voir, s’accrochant aux fenêtres, aux saillies des édifices, à toutes les aspérités qui leur étaient offertes, les simples spectateurs encourageaient par leurs cris terribles cette effroyable effervescence des acteurs.

Ceux-ci se jouaient de leur victime, comme ferait une troupe de tigres d’une proie inoffensive.

Tous se disputaient Foulon. On comprit enfin, si l’on voulait jouir de son agonie, qu’il fallait se distribuer les rôles.

Sans cela il allait être mis en morceaux.

Les uns enlevèrent Foulon, qui déjà n’avait plus la force de crier.

Les autres, qui lui avaient ôté sa cravate et déchiré son habit, lui passèrent au cou une corde.

D’autres enfin, montés sur le réverbère, descendaient cette corde que leurs compagnons passaient au cou de l’ex-ministre.

Un instant, on éleva Foulon à la force des bras, et on le montra ainsi à la foule, la corde au cou et les mains liées derrière le dos.

Puis, quand la foule eut bien contemplé le patient, bien battu des mains, le signal fut donné, et Foulon, pâle, sanglant, fut hissé à la hauteur