Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/37

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Il redoutait une seule personne ; cette personne, c’était le père La Jeunesse ; aussi eut-il la précaution de faire un détour pour passer près de sa maison. Comme portes et volets étaient fermés, et que tout était éteint à l’intérieur, Pitou, pour s’assurer que le garde était bien chez lu ; et non à la garderie, se mit à imiter l’aboiement du chien avec tant de perfection, que Ronflot, le basset du père La Jeunesse, se trompa à la provocation et y répondit en donnant à son tour de la voix à pleine gorge, et en venant humer l’air au-dessous de la porte.

De ce moment, Pitou était tranquille. Dès lors que Ronflot était à la maison, le père La Jeunesse y était aussi. Ronflot et le père La Jeunesse étaient inséparables, et du moment que l’on apercevait l’un, on pouvait être sûr que l’on ne tarderait pas à voir paraître l’autre. Pitou, parfaitement rassuré, s’achemina donc vers la Bruyère-aux-Loups. Les collets avaient fait leur œuvre ; deux lapins étaient pris et étranglés.

Pitou les mit dans la large poche de cet habit trop long qui, au bout d’un an, devait être devenu trop court, et rentra chez sa tante. La vieille fille s’était couchée ; mais la cupidité l’avait tenue éveillée ; comme Perrette, elle avait fait le compte de ce que pouvaient lui rapporter quatre peaux de lapins par semaine, et ce compte l’avait menée si loin, qu’elle n’avait pu fermer l’œil ; aussi, fût-ce avec un tremblement nerveux qu’elle demanda à l’enfant ce qu’il rapportait.

— La paire. Ah ! dam ! tante Angélique, ce n’est pas ma faute si je n’ai pas pu en rapporter davantage ; mais il paraît qu’ils sont malins les lapins du père La Jeunesse.

Les espérances de la tante Angélique étaient comblées et même au delà. Elle prit, frissonnante de joie, les deux malheureuses bêtes, examina leur peau restée intacte, et alla les enfermer dans le garde-manger, qui de la vie n’avait vu provisions pareilles à celles qu’il renfermait depuis qu’il était passé par l’esprit de Pitou de le garnir. Puis, d’une voix assez douce, elle invita Pitou à se coucher, ce que l’enfant fatigué lit à l’instant même sans demander à souper, ce qui acheva de le mettre au mieux dans l’esprit de sa tante. Le surlendemain, Pitou renouvela sa initiative, et, cette fois encore, fut plus heureux que la première. Il prit trois lapins. Deux prirent le chemin de l’auberge de la Boule-d’Or, et le troisième celui du presbytère. La tante Angélique soignait fort l’abbé Fortier, qui la recommandait de son côté aux bonnes âmes de sa paroisse. Les choses allèrent ainsi pendant trois ou quatre mois. La tante Angélique était enchantée, et Pitou trouvait la situation supportable. En effet, moins l’amour de sa mère qui planait sur son existence, Pitou menait à