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Berthier n’eut pas le temps de souffrir. Son sang et son âme s’élancèrent à la fois de son corps par mille blessures.

Alors Billot put apercevoir un spectacle plus hideux encore que tout ce qu’il avait vu jusqu’alors. Il vit un homme plonger sa main dans la poitrine ouverte du cadavre, et en tirer son cœur tout fumant.

Puis, piquant ce cœur à la pointe de son sabre, au milieu de la foule hurlante qui s’ouvrait sur son passage, il l’alla déposer sur la table du grand conseil, où les électeurs tenaient leurs séances.

Billot, cet homme de fer, ne put résister à cette vue ; il tomba sur une borne, à dix pas du fatal réverbère.

Lafayette, en voyant cette insulte infâme faite à son autorité, faite à la révolution qu’il dirigeait, ou plutôt qu’il avait cru diriger, Lafayette brisa son épée et en jeta les morceaux à la tête des assassins.

Pitou alla ramasser le fermier, l’emporta dans ses bras, en lui soufflant à l’oreille :

— Billot ! père Billot ! prenez garde ; s’ils voyaient que vous vous trouvez mal, ils vous prendraient pour son complice, et vous tueraient aussi. Ce serait dommage… un si bon patriote !

Là-dessus, il l’entraîna vers la rivière, le dissimulant du mieux qu’il lui était possible aux regards de quelques zélés qui murmuraient.


XLIII

BILLOT COMMENCE À S’APERCEVOIR QUE TOUT N’EST PAS ROSES DANS LES RÉVOLUTIONS


Billot qui avait, conjointement avec Pitou, trempé dans toutes les libations glorieuses, commença de s’apercevoir que les calices arrivaient.

Lorsqu’il eut repris ses sens à la fraîcheur de la rivière :

— Monsieur Billot, dit Pitou, je regrette Villers-Cotterets ; et vous ? Ces mots, comme une fraîche sensation de vertu et de calme, réveillèrent le fermier, qui retrouva sa vigueur pour fendre la foule et s’éloigner de cette boucherie.

— Viens, dit-il à Pitou, tu as raison.

Et il se décida à venir trouver Gilbert, qui habitait Versailles, et qui, sans être retourné près de la reine depuis le voyage du roi à Paris, était devenu le bras droit de Necker rentré au ministère, abandonnant le