Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/376

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— Me soutiendrez-vous, dit-il, que ceux-là qui assassinent des hommes sans défense et sous la sauvegarde de l’honneur public, me soutiendrez-vous qu’ils soient des Français comme j’en suis un ? — Ah ! dit Gilbert, ceci c’est autre chose. Oui, il y a en France plusieurs sortes de Français. Il y a d’abord le peuple français, dont est Pitou, dont tu es, dont je suis ; puis il y a le clergé français, puis il y a la noblesse française : trois sortes de Français en France, Français chacun à son point de vue, c’est-à-dire au point de vue de ses intérêts, et cela sans compter le roi de France, Français à sa manière. Ah ! Billot, ici, vois-tu, dans la manière d’être Français de tous ces Français-ci, ici est la vraie révolution. Tu seras Français d’une façon, l’abbé Maury sera Français d’une autre manière que toi, Mirabeau sera Français d’une autre manière que l’abbé Maury ; enfin, le roi sera Français d’une autre manière que Mirabeau. Eh bien ! Billot, mon excellent ami, homme au cœur droit et à l’esprit sain, tu viens d’entrer dans la deuxième partie de la question que je traite. Fais-moi le plaisir. Billot, de jeter les yeux sur ceci.

Et Gilbert présenta au fermier un papier imprimé.

— Qu’est-ce que cela ? dit Billot en prenant le papier. — Lis. — Eh ! vous savez bien que je ne sais pas lire. — Dis à Pitou, alors.

Pitou se leva, et se haussant sur la pointe des pieds, vint regarder par-dessus l’épaule du fermier.

— Ce n’est pas du français, dit-il ; ce n’est pas du latin, ce n’est pas non plus du grec. — C’est de l’anglais, répliqua Gilbert. — Je ne sais pas l’anglais, dit orgueilleusement Pitou. — Je le sais moi, dit Gilbert, et je vais vous traduire ce papier ; mais lisez d’abord la signature. — Pitt, dit Pitou ; qu’est-ce cela, Pitt — Je vais vous l’expliquer, dit Gilbert.


XLIV

LES PITT


— Pitt, reprit Gilbert, c’est le fils de Pitt. — Tiens ! dit Pitou, c’est comme dans l’Écriture. Il y a donc Pitt premier et Pitt second ? — Oui, et le Pitt premier, mes amis… Écoutez bien ce que je vais vous dire. — Nous écoutons, reprirent ensemble Billot et Pitou. — Ce Pitt premier fut pendant trente ans l’ennemi juré de la France ; il combattit du fond de son cabinet, où le clouait la goutte, Montcalm et Vaudreuil on Amérique, le bailly de Suffren et d’Estaing sur mer, Noailles et Broglie sur