Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/386

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Une fois d’ailleurs il s’était offert à elle dans le vestibule qui conduisait à l’appartement du roi.

Et là, comme il la saluait profondément, elle avait la première commencé la conversation.

— Bonjour, Monsieur, avait-elle dit, vous allez chez le roi ?

Puis elle avait ajouté avec un sourire où perçait une teinte d’ironie.

— Est-ce comme conseiller ou comme médecin ? — C’est comme médecin, Madame, répondit Gilbert. J’ai aujourd’hui service indiqué.

Elle fit signe à Gilbert de la suivre. Gilbert obéit.

Tous deux entrèrent dans un petit salon qui précédait la chambre du roi.

— Eh bien ! Monsieur, dit-elle, vous voyez bien que vous me trompiez lorsque l’autre jour, à propos de ce voyage de Paris, vous m’assuriez que le roi ne courait aucun danger ? — Moi ! Madame ? reprit Gilbert étonné. — Sans doute ; n’a-t-on pas tiré sur Sa Majesté ? — Qui dit cela, Madame ? — Tout le monde, Monsieur ; et surtout ceux qui ont vu tomber la pauvre femme presque sous les roues de la voiture du roi. Qui dit cela ? monsieur de Beauvau, monsieur d’Estaing, qui ont vu votre habit déchiré, votre jabot troué. — Madame ! — La balle qui vous a effleuré, Monsieur, cette balle pouvait bien tuer le roi, comme elle a tué cette pauvre femme, car enfin ce n’était ni vous ni cette pauvre femme que voulaient tuer les meurtriers. — Je ne crois pas à un crime, Madame, dit Gilbert hésitant. — Soit ! Mais moi j’y crois, Monsieur, dit la reine en regardant Gilbert fixement. — En tout cas, s’il y a crime, il ne faut pas l’imputer au peuple.

La reine fixa plus profondément son regard sur Gilbert.

— Ah ! dit-elle, et à quoi faut-il l’attribuer, dites ? — Madame, continua Gilbert en secouant la tête, depuis quelque temps je vois et j’étudie le peuple. Eh bien ! le peuple, quand il assassine en temps de révolution, le peuple tue avec ses mains ; il est alors le tigre en fureur, le lion irrité. Le tigre et le lion ne prennent pas d’intermédiaire, d’agent, entre la force et la victime ; il tue pour tuer ; il répand le sang pour le répandre ; il aime à y teindre sa dent, à y tremper sa griffe. — Témoin Foulon et Berthier, n’est-ce pas ? Mais Flesselles n’a-t-il pas été tué d’un coup de pistolet ? Je l’ai entendu dire, du moins ; mais après tout, continua la reine avec ironie, peut-être n’est-ce pas vrai, nous sommes tellement entourés de flatteurs, nous autres têtes couronnées !

Gilbert à son tour regarda fixement la reine.

— Oh ! celui-là, dit-il, vous ne croyez pas plus que moi, Madame, que ce soit le peuple qui l’ai tué. Celui-là, il y avait des gens intéressés à ce qu’il mourût.