Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/405

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C’est que, vu la gravité des circonstances, la cérémonie devenait imposante.

On allait voir de part et d’autre à qui l’on avait affaire.

De leur côté, tous ces soldats, tous ces officiers compromis la veille, voulant savoir jusqu’à quel point ils seraient soutenus par la reine dans leur imprudente démonstration, avaient pris place en face de ce peuple scandalisé, insulté la veille, pour entendre les premières paroles officielles qui sortiraient du château.

Le poids de toute la contre-révolution était dès lors suspendu sur la seule tête de la reine.

Il était cependant encore en son pouvoir de décliner une pareille responsabilité, de conjurer un pareil malheur.

Mais elle, fière comme les plus fiers de sa race, promenant son regard clair, limpide, assuré sur ceux qui l’entouraient, amis et ennemis, et s’adressant d’une voix sonore aux officiers de la garde nationale :

— Messieurs, dit-elle, je suis fort aise de vous avoir donné des drapeaux. La nation et l’armée doivent aimer le roi comme nous aimons la nation et l’armée. J’ai été enchantée de la journée d’hier. À ces mots, qu’elle accentua de sa plus ferme voix, un murmure partit de la foule, un bruyant applaudissement éclata dans les rangs des militaires.

— Nous sommes soutenus, dirent ceux-ci. — Nous sommes trahis, dirent ceux-là.

Ainsi, pauvre reine ! cette fatale soirée du 1° octobre, ce n’était point une surprise. Ainsi, malheureuse femme ! vous ne regrettez pas la journée d’hier, vous ne vous en repentez pas ! Bien loin de vous en repentir, vous en êtes enchantée !

Charny, placé dans un groupe, entendit avec un profond soupir de douleur cette justification, mieux que cela, cette glorification de l’orgie des gardes du corps.

La reine, en détournant les yeux de dessus la foule, rencontra les yeux du jeune homme, et elle arrêta son regard sur la physionomie de son amant, afin d’y lire l’impression qu’elle avait faite.

— N’est-ce pas que je suis brave ? voulait-elle dire. — Hélas ! Madame, vous êtes plus folle que brave, répondit le visage douloureusement assombri, du comte.