Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/407

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parce qu’il n’a pas la conscience de la cause, pour l’enfant qui dit à sa mère : Pourquoi ne me donnes-tu pas de pain ? pour le mari qui, sombre et taciturne, quitte la maison le matin pour revenir le soir plus sombre et plus taciturne encore ; enfin pour elles, écho douloureux des souffrances conjugales et maternelles ; les femmes brûlent de prendre leur revanche, elles veulent servir la patrie à leur façon.

D’ailleurs, n’étaient-ce pas les femmes qui avaient fait le 1er octobre, à Versailles ?

C’était au tour des femmes de faire le 5 octobre, à Paris.

Gilbert et Billot étaient au Palais-Royal, au café de Foy. C’était au café de Foy que se faisaient les motions. Tout à coup, la porte du café s’ouvre, une femme entre tout effarée. Elle dénonce les cocardes blanches et noires qui de Versailles sont passées à Paris ; elle proclame le danger public.

On se rappelle ce qu’avait dit Charny à la reine :

— Madame, il y aura véritablement à craindre quand les femmes s’en mêleront.

C’était aussi l’avis de Gilbert.

Aussi, voyant que les femmes s’en mêlaient, il se retourna vers Billot et ne prononça que ces quatre mots :

— À l’hôtel de ville !

Depuis la conversation qui avait eu lieu entre Billot, Gilbert et Pitou, et à la suite de laquelle Pitou était retourné à Villers-Cotterets avec le petit Sébastien Gilbert, Billot obéissait à Gilbert sur un mot, sur un geste, sur un signe, car il avait compris que s’il était la force, Gilbert, lui, était l’intelligence.

Tous deux s’élancèrent hors du café, coupèrent diagonalement le jardin du Palais-Royal, traversèrent la cour des Fontaines, et atteignirent la rue Saint-Honoré.

À la hauteur de la halle, ils rencontrèrent une jeune fille qui sortait de la rue des Bourdonnais en battant le tambour.

Gilbert s’arrêta étonné.

— Qu’est-ce que cela ? demanda-t-il. — Dam ! vous voyez, docteur, répondit Billot, une jolie fille qui bat le tambour, et pas trop mal, ma foi ! — Elle aura perdu quelque chose, dit un passant. — Elle est bien pâle, reprit Billot. — Demandez-lui ce qu’elle veut, fit Gilbert. — Eh ! la jolie fille ! fit Billot, qu’avez-vous à battre ainsi la caisse ? — J’ai faim ! répondit la jolie fille d’une voix grêle et stridente.

Et elle continua sa marche et ses roulements de tambour.

Gilbert avait entendu.

— Oh ! oh ! voilà qui devient terrible, dit-il.