Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/41

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tissage qui ne coûtait rien à la tante Angélique, et monsieur Fortier, sans compter les grives, les merles et les lapins dont la vieille dévote le comblait depuis six mois, devait bien quelque chose de plus qu’à un autre au neveu de la loueuse de chaise de son église. Ainsi conservé sous cloche, Ange rapportait au présent et promettait pour l’avenir. En effet, Ange fut reçu chez l’abbé Fortier sans rétribution aucune. C’était un brave homme que cet abbé, pas intéressé le moins du monde, donnant sa science aux pauvres d’esprit, son argent aux pauvres de corps ; mais intraitable sur un seul point : les solécismes le mettaient hors de lui, les barbarismes le rendaient furieux. Dans ce cas là il ne connaissait ni ami, ni ennemi, ni pauvre, ni riche, ni élève payant, ni écolier gratuit ; il frappait avec une impartialité agraire et avec un stoïcisme lacédémonien, et comme il avait le bras fort, il frappait ferme. C’était connu des parents, c’était à eux de mettre ou de ne pas mettre leurs enfants chez l’abbé Fortier, ou s’ils les y mettaient, de les abandonner entièrement à sa merci : car, à toutes les réclamations maternelles, l’abbé répondait par cette devise, qu’il avait fait graver sur la palette de sa férule et sur le manche de son martinet : Qui aime bien châtie bien.

Ange Pitou, sur la recommandation de sa tante, fut donc reçu parmi les élèves de l’abbé Fortier. La vieille dévote, toute fière de cette réception, beaucoup moins agréable à Pitou dont elle interrompait la vie nomade et indépendante, se présenta chez maître Niguet, et lui annonça que non-seulement elle venait de se conformer aux intentions du docteur Gilbert, mais même de les dépasser. En effet, le docteur avait exigé pour Ange Pitou un état honorable : elle lui donnait bien plus que cela, puisqu’elle lui donnait une éducation distinguée ; et où cela lui donnait-elle cette éducation ? dans cette même pension où Sébastien Gilbert, pour lequel il payait cinquante livres, recevait la sienne.

À la vérité Ange recevait son éducation gratis, mais il n’y avait aucune nécessité à faire cette confidence au docteur Gilbert, et, la lui fît-on, on connaissait l’impartialité et le désintéressement de l’abbé Fortier. Comme son sublime maître, il ouvrait les bras en disant : « Laissez venir les enfants jusqu’à moi ». Seulement, les deux mains qui terminaient ces deux bras paternels étaient armées, l’une d’un rudiment, l’autre d’une poignée de verges ; de sorte que, pour la plupart du temps, tout au contraire de Jésus, qui recevait les enfants en pleurs et les renvoyait consolés, l’abbé Fortier voyait venir à lui les pauvres enfants effrayés et les renvoyait pleurants.

Le nouvel écolier fit son entrée dans la classe, un vieux bahut sous le bras, un encrier de corne à la main, et deux ou trois trognons de plume passés derrière son oreille. Le bahut était destiné à remplacer