Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/436

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Enfin, nous le voyons se glissant dans la nuit, comme ces loups qui rampent autour des parcs de moutons, attendant que le berger soit endormi pour risquer leur œuvre sanglante.

Verrière !

Celui-là, nous le nommons pour la première fois. C’était un nain difforme, un bossu hideux, monté sur des jambes démesurées. À chaque orage qui troublait le fond de la société, on voyait le gnome sanglant monter avec l’écume et s’agiter à sa surface ; deux ou trois fois, aux époques terribles, on le vit passer dans Paris, accroupi sur un cheval noir, pareil à une figure de l’Apocalypse ou à un de ces diables impossibles nés sous le crayon de Callos pour tenter saint Antoine. Un jour, dans un club et monté sur une table, il attaqua, il menaça, il accusa Danton. C’était à l’époque où commençait à chanceler la popularité de l’homme du 2 septembre. Sous cette venimeuse attaque, Danton se sentit perdu, perdu comme le lion qui aperçoit à deux doigts de ses lèvres la tête hideuse du serpent. Il regarda autour de lui, cherchant soit une arme, soit un soutien. Il aperçut par bonheur un autre bossu. Il le prit aussitôt sous les épaules, et, le soulevant, il le posa sur la table en face de son confrère.

— Mon ami, dit-il, répondez à Monsieur, je vous passe la parole. On éclata de rire, et Danton fut sauvé. Pour cette fois-là du moins.

Il y avait donc, la tradition le dit, il y avait Marat, Verrière, et puis encore :

Le duc d’Aiguillon.

Le duc d’Aiguillon, c’est-à-dire un des ennemis modèles de la reine.

Le duc d’Aiguillon déguisé en femme.

Qui dit cela ? Tout le monde.

L’abbé Delille et l’abbé Maury, ces deux abbés qui se ressemblent si peu.

On a attribué au premier ce fameux vers : En l’homme, c’est un lâche ; en femme, un assassin. Quant à l’abbé Maury, c’est autre chose. Quinze jours après les événements que nous racontons, le duc d’Aiguillon le rencontra sur la terrasse des Feuillants et voulut l’accoster.

— Passe ton chemin, salope, dit l’abbé Maury. Et il s’éloigna majestueusement du duc. Or, on dit donc que ces trois hommes arrivèrent à Versailles vers quatre heures du matin.