Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/453

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— Monsieur Gilbert, dit-il, t’a confié le moral de Sébastien, moi, je t’en confie le physique. Tu as des poings ; à l’occasion, sache t’en servir.

— Oui, dit Pitou, et j’ai aussi un sabre. — N’en abuse pas, continua Billot. — Je serai clément, dit Pitou, clemens ero. — Héro ? si tu veux, répéta Billot, qui n’y entendait pas malice. — Maintenant, dit Gilbert, il me reste à vous indiquer la façon dont vous voyagerez, Sébastien et toi. — Oh ! s’écria Pitou, il n’y a que dix-huit lieues de Paris à Villers-Cotterets, nous causerons tout le long de la route Sébastien et moi.

Sébastien regarda son père comme pour lui demander si ce serait bien amusant de causer pendant dix-huit lieues avec Pitou.

Pitou intercepta ce regard.

— Nous parlerons latin, dit-il, et l’on nous prendra pour des savants.

C’était là son rêve, l’innocente créature !

Combien d’autres, avec dix doubles louis dans leur main, eussent dit : Nous achèterons du pain d’épice.

Gilbert eut un moment de doute.

Il regarda Pitou, puis Billot.

— J’entends, dit ce dernier. Vous vous demandez si Pitou est un guide, et vous hésitez à lui confier votre enfant. — Oh ! dit Gilbert, ce n’est pas à lui que je le confie. — À qui donc ?

Gilbert regarda en haut ; il était trop voltairien encore pour oser répondre : À Dieu !

Et tout fut dit. On résolut en conséquence que, sans rien changer au plan de Pitou, qui promettait sans trop de fatigue un voyage plein de distractions au jeune Gilbert, on se mettrait en route le lendemain matin.

Gilbert aurait pu envoyer son fils à Villers-Cotterets dans une des voitures publiques qui faisaient dès cette époque le service de Paris à la frontière, ou même dans sa propre voiture ; mais on sait combien il craignait pour le jeune Sebastien l’isolement de la pensée, et rien n’isole les rêves comme le roulement et le bruit de la voiture.

Il se contenta donc de conduire les deux enfants jusqu’au Bourget, et là, leur montrant la route ouverte sous un beau soleil, avec sa double rangée d’arbres, il ouvrit les deux bras et leur dit :

— Allez !

Pitou partit donc, emmenant Sébastien, qui se retourna bien des fois pour envoyer des baisers à Gilbert, qui se tenait debout, les bras croisés, à l’endroit où il avait quitté son fils, le suivant des yeux comme il eût suivi un rêve.

Pitou se redressait de toute la hauteur de sa grande taille. Pitou était bien fier de la confiance qui lui avait été témoignée par un personnage de l’importance de monsieur Gilbert médecin du roi par quartiers.