Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/455

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Cette verve intarissable lui procura une série non interrompue d’excellents repas jusqu’à Vauciennes, dernier village sur la route avant d’arriver à Villers-Cotterets.

Comme Sébastien, tout au contraire, mangeait peu ou point, comme il ne parlait pas du tout, comme c’était un enfant maladif et pâle, chacun, s’intéressant à Sébastien, admirait la vigilante paternité de Pitou, qui caressait, dorlotait, soignait l’enfant, et par-dessus le marché lui mangeait sa part, sans paraître chercher autre chose que l’occasion de lui être agréable.

Arrivé à Vauciennes, Pitou parut hésiter ; il regarda Sébastien, Sébastien regarda Pitou.

Pitou se gratta la tête. C’était sa façon d’exprimer son embarras. Sébastien connaissait assez Pitou pour ne pas ignorer ce détail.

— Eh bien ! qu’y a-t-il, Pitou ? demanda Sébastien. — Il y a, dit Pitou, que, si cela t’était égal et si tu n’étais pas trop fatigué, au lieu de continuer notre route tout droit, nous reviendrions à Villers-Cotterets par Haramont.

Et Pitou, l’honnête garçon, rougit en exprimant ce désir, comme Catherine eût rougi en exprimant un désir moins innocent.

Gilbert comprit.

— Ah ! oui, dit-il, c’est là que notre pauvre maman Pitou est morte.

— Viens, mon frère, viens.

Pitou serra Sébastien sur son cœur, de façon à l’étouffer, et prenant la main de l’enfant, il se mit à courir par le chemin de traverse, longeant la vallée de Wuala, si rapidement qu’au bout de cent pas le pauvre Sébastien haletant fut obligé de lui dire :

— Trop vite, Pitou, trop vite.

Pitou s’arrêta ; il ne s’était aperçut de rien, ayant marché son pas ordinaire

Il vit Sébastien pâle et essoufflé.

Il le prit dans ses bras comme saint Siméon avait pris Jésus, et il l’emporta.

De cette façon Pitou put marcher aussi vite qu’il voulait.

Comme ce n’était point la première fois que Pitou portait Sébastien, Sébastien se laissa faire.

On arriva ainsi à Largny. À Largny, Sébastien, sentant haleter la poitrine de Pitou, déclara qu’il était assez reposé, et qu’il se tenait prêt à marcher du train que voudrait Pitou.

Pitou plein de magnanimité modéra son pas. Une demi-heure après, Pitou était à l’entrée du village d’Haramont, le joli lieu de sa naissance, comme dit la romance d’un grand poète,