Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/50

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pensé. — Ah ! tu vois, dit la vieille fille, profitant de la naïve exclamation de son neveu pour le convaincre de connivence avec la Billote ; mais laisse faire, je m’en vais raccommoder tout cela, moi. Monsieur Fortier est son confesseur ; je vais le prier de te faire emprisonner, et de te mettre au pain et à l’eau pendant quinze jours ; et quant à mademoiselle Catherine, s’il lui faut du couvent pour modérer sa passion pour toi, eh bien ! elle en tâtera. Nous l’enverrons à Saint-Remy.

La vieille fille prononça sa dernière parole avec une autorité et une conviction de sa puissance qui fit frémir Pitou.

— Ma bonne tante ! lui dit-il en joignant les mains, vous vous trompez, je vous jure, si vous croyez que mademoiselle Billot est pour quelque chose dans mon malheur. — L’impureté est la mère de tous les vices, interrompit sentencieusement mademoiselle Angélique. — Ma tante ! je vous répète que monsieur l’abbé ne m’a pas renvoyé parce que je suis un impur ; il m’a renvoyé parce que je fais trop de barbarismes, mêlés aux solécismes qui m’échappent aussi de temps en temps, et m’ôtent, à ce qu’il dit, toute chance pour obtenir la bourse du séminaire. — Toute chance, dis-tu ? Alors tu n’auras pas cette bourse ; alors tu ne seras pas abbé ; alors je ne serai pas ta gouvernante ? — Mon Dieu ! non ! ma tante. — Et que deviendras-tu alors ? demanda la vieille fille toute effarouchée. — Je ne sais pas.

Pitou leva lamentablement les yeux au ciel.

— Ce qu’il plaira à la Providence ! ajouta-t-il. — À la Providence ? Ah ! je vois ce que c’est, s’écria mademoiselle Angélique ; on lui aura monté la tête, on lui aura parlé d’idées nouvelles, on lui aura inculqué des principes de philosophie. — Ça ne peut pas être cela, ma tante, puisqu’on ne peut entrer en philosophie qu’après avoir fait sa réthorique, et que je n’ai jamais pu dépasser ma troisième. — Plaisante, plaisante. Ce n’est pas de cette philosophie-là que je parle, moi. Je parle de la philosophie des philosophes, malheureux ! je parle de la philosophie de monsieur Arouet ; je parle de la philosophie de monsieur Jean-Jacques ; de la philosophie de monsieur Diderot, qui a fait la Religieuse.

Mademoiselle Angélique se signa.

La Religieuse ! demanda Pitou, qu’est-ce que c’est que cela, ma tante ? — Tu l’as lue, malheureux ? — Ma tante, je vous jure que non ! — Voilà pourquoi tu ne veux pas de l’Église. — Ma tante, vous vous trompez ; c’est l’Église qui ne veut pas de moi. — Mais c’est décidément un serpent que cet enfant-là. Je crois qu’il réplique. — Non, ma tante, je réponds, voilà tout. — Oh ! il est perdu ! s’écria mademoiselle Angélique avec tous les signes du plus profond abattement, et en se laissant aller sur son fauteuil favori.