Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/518

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pace en roulant du ciel aux enfers. Encore, aux enfers, Satan était tombé roi, tandis que Pitou, foudroyé par l’abbé Fortier, était tout simplement redevenu Pitou.

Comment se représenter maintenant devant ses mandataires ? Comment, après leur avoir témoigné tant de confiance imprudente, oser leur dire que leur chef était un vantard, un fanfaron, qui, avec un casque sur l’oreille et avec un sabre au côté, se laissait donner par un vieil abbé des coups de martinet sur le derrière ?

S’être vanté de réussir près de l’abbé Fortier, et échouer, quelle faute !

Pitou, sur le revers du premier fossé qu’il trouva, prit sa tête dans ses deux mains et réfléchit.

Il avait espéré d’amadouer l’abbé Fortier en lui parlant grec et latin. Il s’était flatté, dans sa naïve bonhomie, de corrompre le Cerbère avec le miel d’un gâteau de belles expressions, et voilà que son gâteau s’était trouvé amer, voilà que Cerbère avait mordu la main sans avaler le gâteau. Voilà que tous ses plans étaient renversés.

L’abbé Fortier avait donc un immense amour-propre : Pitou avait compté sans cet amour-propre ; car ce qui avait exaspéré l’abbé Portier était bien plus la faute de français que Pitou avait trouvée dans la phrase, que les trente fusils qu’il avait voulu prendre dans son arsenal.

Les jeunes gens, lorsqu’ils sont bons, commettent toujours cette faute de croire à la perfection chez autrui.

L’abbé Fortier était donc un enragé royaliste, et surtout un orgueilleux philologue.

Pitou se reprochait amèrement d’avoir éveillé en lui, à propos du roi Louis XVI et du verbe être, la double colère dont il avait été victime. Il le connaissait, il eût dû le ménager. Là était réellement sa faute, et il la déplorait trop tard, comme toujours.

Restait à trouver ce qu’il aurait dû faire.

Il aurait dû mettre son éloquence à prouver du royalisme à l’abbé Fortier, et surtout à laisser passer inaperçues ses fautes de grammaire.

Il aurait dû lui persuader que la garde nationale d’Haramont était contre-révolutionnaire.

Il aurait dû lui promettre que cette armée serait l’armée auxiliaire du roi.

Surtout ne pas dire un mot de ce malheureux verbe être mis à un temps pour un autre.

Et nul doute alors que l’abbé n’eût ouvert ses trésors et ses arsenaux pour assurer à la monarchie le secours d’une troupe si vaillante et de son chef héroïque.