Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/529

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est un expédient pour la défense d’un homme, des fusils ne le sont guère. Nos trois héros, chargés de ces dépouilles opimes, traversèrent donc le parc en courant, et gagnèrent un rond-point où ils devaient s’arrêter. Épuisés, ruisselante de sueur enfin, mais d’une glorieuse fatigue, ils amenèrent chez Pitou le précieux dépôt que la patrie venait de leur confier, peut-être un peu bien aveuglément. Il y eut assemblée de la garde nationale le même soir, et le commandant Pitou remit un fusil à chaque soldat, en leur disant, comme les mères Spartiates à leurs fils, à propos du bouclier ; « Avec ou dessus. »

Ce fut alors, dans cette petite commune, ainsi transformée par le génie de Pitou, une effervescence pareille à celle de la fourmilière un jour de tremblement de terre.

La joie de posséder un fusil, chez ces peuples éminemment braconniers, à qui la longue oppression des gardes avait donné la rage de la chasse, fit que pour eux Pitou devint un dieu sur la terre.

On oublia ses longues jambes, on oublia ses longs bras, on oublia ses gros genoux et sa grosse tête, on oublia enfin ses grotesques antécédents, et il fut et demeura le génie tutéhiire du pays pendant tout le temps que le blond Phœbus mit à rendre sa visite à la belle Amphitrite.

La journée du lendemain fut occupée par les enthousiastes à manier, à remanier et à fourbir leurs armes en connaisseurs instinctifs : les uns, joyeux si la batterie était bonne, les autres songeant à réparer l’inégalité du sort, s’il leur était échu une arme de qualité inférieure. Pendant ce temps Pitou, retiré dans sa chambre, comme le grand Agamemnon sous sa tente, songeait, tandis que les autres fourbissaient, se creusant, lui, le cerveau, tandis que ses hommes s’écorchaient les mains.

A quoi songeait Pitou ? demandera le lecteur sympathique à ce génie naissant.

Pitou, devenu pasteur des peuples, songeait à la creuse inanité des grandeurs de ce monde.

En effet, le moment arrivait où, de tout cet édifice à grand peine élevé, rien n’allait rester debout.

Les fusils étaient livrés depuis la veille. La journée était employée à les mettre en état. Demain il faudrait montrer l’exercice à ces soldats, et Pitou ne connaissait pas le premier commandement de la charge en douze temps.

Pitou avait toujours chargé son fusil sans compter les temps, et comme il avait pu.

Quant à la manœuvre, c’était bien pis encore.