Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/537

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fais-toi une base, morbleu ! fais-toi une base ; tes pieds sont assez larges pour cela.

Et Pitou obéissait de son mieux.

— Bien ! fit le vieillard, tu as l’air assez noble. Pitou fut extrêmement flatte d’avoir l’air noble. Il n’avait pas espéré tant.

Avoir l’air noble, en effet, après une beure seulement d’exercice ! que serait-ce donc au bout d’un mois ? Il aurait l’air majestueux. Aussi voulut-il continuer.

Mais c’était assez pour une leçon.

D’ailleurs, le père Clouïs ne voulait pas trop s’avancer ayant de tenir son fusil.

— Non pas, dit-il, c’est assez pour une fois. Tu n’as que cela à leur montrer pour la première leçon, encore ne la sauront-il pas avant quatre jours ; toi, pendant ce temps-là, tu seras venu ici deux fois.

— Quatre fois ! s’écria Pitou. — Ah ! ah ! répondit froidement le père Clouïs, tu as du zèle et des jambes, à ce qu’il paraît. Quatre fois, soit ; viens quatre fois. Mais je t’avertis que nous sommes à la fin du dernier quartier de la lune, et que demain il n’y fera plus clair.

— Nous ferons l’exercice dans la grotte, dit Pitou. — Alors tu apporteras de la chandelle. — Une livre, deux s’il le faut. — Bon. Et mon fusil ? — Vous l’aurez demain. — J’y compte. Voyons si tu as retenu ce que je t’ai dit ?

Pitou recommença de façon à s’attirer des compliments. Dans sa joie, il eût promis un canon au père Clouïs.

Cette seconde séance achevée, comme il était une heure du matin à peu près, il prit congé de son instructeur et regagna plus lentement, c’est vrai, mais d’un pas encore très-tendu, le village d’Haramont, où tout le monde, gardes nationaux et simples bergers, dormaient du sommeil le plus profond.

Pitou rêva qu’il commandait en chef une armée de plusieurs millions d’hommes, et qu’il faisait faire à l’univers tout entier, rangé sur une seule file, le mouvement du pas emboîte et un portez armes ! qui aboulirait à l’extrémité de la vallée de Josaphat. Dès le lendemain il donna, ou plutôt rendit sa leçon à ses soldats, avec une insolence de poses et une sûreté de démonstration qui poussèrent jusqu’à l’impossible la faveur dont il jouissait.

O popularité, souffle insaisissable !

Pitou devint populaire, et fut admiré des hommes, des enfants et des vieillards.

Les femmes même restèrent sérieuses, lorsqu’en leur présence il criait