Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/54

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Pitou était plongé dans des rêveries qui eussent bien surpris l’abbé Fortier, homme logique.

Ces rêveries, parties d’un point obscur, s’étaient éclaircies ; puis étaient devenues confuses, quoique brillantes comme des éclairs dont l’origine est cachée, dont la source est perdue.

Cependant Cadet s’était remis en marche au pas, et Pitou marchait près de Cadet, une main appuyée sur un des paniers. Quant à mademoiselle Catherine, rêveuse de son côté comme Pitou l’était du sien, elle laissait flotter les rênes sans craindre que son coursier s’emportât. D’ailleurs, il n’y avait pas de monstre sur le chemin, et Cadet était d’une race qui n’avait aucun rapport avec les chevaux d’Hippolyte.

Pitou s’arrêta machinalement quand le cheval s’arrêta. On était arrivé à la ferme.

— Tiens, c’est toi, Pitou ! s’écria un homme d’une encolure puissante, campé assez fièrement devant une mare, où il faisait boire son cheval.

— Eh ! mon Dieu ! oui, monsieur Billot, c’est moi-même. — Encore un malheur arrivé à ce pauvre Pitou, dit la jeune fille en sautant à bas de son cheval, sans s’inquiéter si son jupon, en se relevant, montrait la couleur de ses jarretières ; sa tante le chasse. — Et qu’a-t-il donc fait encore à la vieille bigote ? dit le fermier. — Il paraît que je ne suis pas assez fort en grec, dit Pitou.

il se vantait, le fat ! c’était en latin qu’il aurait dû dire.

— Pas assez fort en grec, dit l’homme aux larges épaules, et pourquoi veux-tu être fort en grec ? — Pour expliquer Théocrite et lire l’Iliade. — Et à quoi cela te servirait-il d’expliquer Théocrite et de lire l’Iliade ? — Cela me servirait à être abbé. — Bah ! dit monsieur Billot, est-ce que je sais le grec ? est-ce que je sais le latin ? est-ce que je sais le français ? est-ce que je sais écrire ? est-ce que je sais lire ? Ça m’empêche-t-il de semer, de récolter et d’engranger ? — Oui, mais vous, monsieur Billot, vous n’êtes pas abbé, vous êtes cultivateur, agricola, comme dit Virgile. O fortunatos nimium !… — Eh bien ! crois-tu donc qu’un cultivateur ne soit pas l’égal d’un calotin, dis donc, mauvais enfant de chœur, surtout quand ce cultivateur a soixante arpents de terre au soleil et un millier de louis à l’ombre ? — On m’a toujours dit que d’être abbé c’était ce qu’il y avait de mieux au monde ; il est vrai, ajouta Pitou en souriant de son sourire le plus agréable, que je n’ai pas toujours écouté ce qu’on me disait. — Et tu as eu raison, garçon. Tu vois que je fais des vers comme un autre, quand je m’en mêle, moi. Il me semble qu’il y a en toi de l’étoffe pour faire mieux qu’un abbé, et que c’est un bonheur que tu ne prennes pas cet état-là, surtout dans ce moment-ci. Vois-tu, en ma qualité de fermier, je me connais au temps, et le temps est mau-