Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/546

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— Pas aux mains, au pied, dit-elle vivement. — Et vous en avez trouvé ? — D’excellente ; je ne boite pas, regardez. — Elle boitait encore bien moins, pensa Pitou, quand je l’ai vue s’enfuyant plus vite qu’un chevreuil sur les bruyères.

Catherine se figura qu’elle avait réussi ; elle se figura que Pitou n’avait rien su, rien vu.

Cédant à un mouvement de joie, mauvais mouvement pour une si belle âme :

— Ainsi, dit-elle, monsieur Pitou nous boudait ; monsieur Pitou est fier de sa nouvelle position ; monsieur Pitou dédaignait les pauvres paysans, depuis qu’il est officier.

Pitou se sentit blessé. Un si grand sacrifice, même dissimulé, exige presque toujours d’être récompensé, et comme au contraire Catherine semblait mystifier Pitou, comme elle le raillait, par comparaison sans doute avec Isidore de Charny, toutes les bonnes dispositions de Pitou s’évanouirent : l’amour-propre est une vipère endormie, sur laquelle il n’est jamais prudent de marcher, à moins qu’on ne l’écrase du coup.

— Mademoiselle, répliqua-t-il, il me semble que c’était bien plutôt vous qui me boudiez. — Comment cela ? — D’abord vous m’avez chassé de la ferme en me refusant de l’ouvrage. Oh ! je n’en ai rien dit à monsieur Billot. Dieu merci ! j’ai des bras et du cœur au service de mes besoins. — Je vous assure, monsieur Pitou… — Il suffit. Mademoiselle ; vous êtes la maîtresse chez vous. Donc, vous m’avez chassé ; donc, puisque vous alliez au pavillon de Charny et que j’étais là, et que vous m’avez vu, c’était à vous à me parler, au lieu de vous enfuir comme un voleur de pommes.

La vipère avait mordu ; Catherine retomba du haut de sa tranquillité.

— M’enfuir, dit-elle ; moi, je m’enfuyais ? — Comme si le feu était à la ferme, Mademoiselle ; je n’ai pas eu le temps de fermer mon livre, que déjà vous aviez sauté sur ce pauvre Cadet caché dans les feuilles, et qui a dévoré toute l’écorce d’un frêne, un arbre perdu. — Un arbre perdu ? mais qu’est-ce que vous me dites-là, monsieur Pitou ? balbutia Catherine, qui commençait à sentir toute son assurance l’abandonner.

— C’est bien naturel, continua Pitou ; tandis que vous cueilliez la joubarbe, Cadet broutait, et en une heure un cheval broute diablement de choses.

Catherine s’écria :

— En une heure ! — il est impossible. Mademoiselle, qu’un cheval dépouille un arbre comme celui-là, à moins d’une heure de coups de dent. Vous avez dû cueillir de la joubarbe pour autant de blessures qu’il