Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/548

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peu de crainte, et Pitou, qui avait de grands appétits de dignité personnelle, n’eût pas été médiocrement flatté en découvrant ce genre de sentiment chez Catherine.

Mais comme il n’était point assez fort physiologiste pour deviner les idées d’une femme à une lieue et demie de distance, il se contenta de pleurer beaucoup et de se rabâcher à lui-même une foule de chansons villageoises lugubres sur les airs les plus mélancoliques. Son armée eût été bien désappointée, en voyant son général livré à des jérémiades aussi élégiaques.

Quand Pitou eut beaucoup chanté, beaucoup pleuré, beaucoup marché, il rentra dans sa chambre, devant laquelle il trouva que les Haramonlois idolâtres avaient placé une sentinelle, l’arme au bras, pour lui faire honneur.

La sentinelle n’avait plus l’arme au bras, tant elle était ivre ; elle dormait sur le banc de pierre, son fusil entre les jambes. Pitou, étonné, la réveilla.

Il apprit alors que les trente bons hommes avaient commandé un festin chez le père Tellier, le Vatel d’Haramont ; que douze des plus délurées commères y couronnaient les vainqueurs, et qu’on avait gardé la place d’honneur pour le Turenne qui avait battu le Condé du canton voisin. Le cœur avait trop fatigué chez Pitou pour que l’estomac n’en eût pas souffert. « On s’est étonné, dit Chateaubriand, de la quantité de larmes que contient l’œil d’un roi ; mais on n’a jamais pu mesurer le vide que les larmes font dans un estomac d’adulte. » Pitou, traîné par son factionnaire à la salle du festin, fut reçu avec des acclamations à secouer les murailles. Il salua en silence, s’assit de même, et, avec ce calme qu’on lui connaît, il attaqua les tranches de veau et la salade. Cela dura tout le temps que mit son cœur à se dégonfler et son estomac à s’emplir.