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mon cheval ! — Et vous nous quittez ainsi, mon père ; vous nous quittez dans un pareil moment ? Vous nous laissez pleines d’inquiétudes et d’angoisses ? — Il le faut, mon enfant ; il le faut, dit le fermier prenant la tête de sa fille entre ses mains, et l’approchant convulsivement de ses lèvres. « Si jamais tu perdais ce coffret, m’a dit le docteur, ou si plutôt on te le dérobait, du moment où tu t’apercevras du vol, pars, Billot, viens m’avertir partout où je serai ; que rien ne t’arrête, pas même la vie d’un homme. — Seigneur ! que peut donc renfermer ce coffret ? — Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est qu’on me l’avait donné en garde, et que je me le suis laissé prendre. Ah ! voilà mon cheval. Par le fils, qui est au collége, je saurai bien où est le père.

Et, embrassant une dernière fois sa femme et sa fille, le fermier sauta en selle, et partit au grand galop à travers terres, dans la direction de la route de Paris.


IX

ROUTE DE PARIS


Revenons à Pitou.

Pitou était poussé en avant par les deux plus grands stimulants de ce monde : la peur et l’amour.

La peur lui avait dit directement :

— Tu peux être arrêté ou battu ; prends garde à toi, Pitou !

Et cela suffisait pour le faire courir comme un daim.

L’amour lui avait dit par la voix de Catherine :

— Sauvez-vous vite, mon cher Pitou !

Et Pitou s’était sauvé.

Les deux stimulants, comme nous l’avons dit, faisaient que Pitou ne courait pas, Pitou volait.

Décidément, Dieu est grand ; Dieu est infaillible !

Comme les longues jambes de Pitou, qui lui paraissaient nouées, et ses énormes genoux, si disgracieux dans un bal, lui paraissaient utiles dans la campagne, alors que son cœur, gonflé par la crainte, battait trois pulsations à la seconde !

Ce n’était pas monsieur de Charny, avec ses petits pieds, ses fins genoux, et ses mollets symétriquement posés à leur place, qui eût couru ainsi.

Pitou se rappela cette jolie fable du cerf qui pleure sur ses fuseaux devant une fontaine, et, quoiqu’il n’eût pas au front l’ornement dans